En cet été 1994, le mur de Berlin est tombé voilà maintenant quelque temps. De nouveaux territoires, presque interdits aux anciens "ennemis" que nous sommes, sont enfin ouverts et libres d'accès. Il est alors terriblement tentant, avant que l'occidentalisation ne ravage tout sur son passage, de voir comment les gens sont sortis des régimes communistes et quel en est leur sentiment ... et comment ils abordent la nouvelle ère capitalistique, avec tout ce que cela peut leur apporter comme espérances et déceptions.
Donc avec Niko, en cet été torride, on s'est munis d'une carte Inter-rail, qui offre l'avantage de pouvoir voyager pendant un mois dans toute l'Europe (les zones et les pays sont paramétrables, cela influe bien sûr sur le prix final, se renseigner auprès de la SNCF) sans payer un seul billet de train local (hormis les suppléments dûs aux trains spéciaux, voir TGV en France) ... et encore, faire le sourd au fond de la Hongrie quand le contrôleur vous demande de régler le surcoût est généralement payant, si vous y mettez un peu de (mauvaise) volonté.
On s'est décidé pour quelques grands objectifs géographiques : les villes sur les bords du Danube, Budapest, Bratislava, Prague, les fêtes de la bière à Munich, histoire de faire le plein, Berlin enfin réunie et si le coeur nous en disait pousser le bouchon jusqu'à Varsovie aux portes de l'ex-empire soviétique. Cela nous permet, jours de voyage déduits, de passer quatre jours en moyenne dans chaque étape, en humant l'ambiance et en prenant la température locale ... et surtout rentrer la tête pleine d'images !
On s'est limité aux capitales pour des raisons de transport évidentes, sinon on aurait carrément pû passer un mois dans les Carpathes, à la recherche du sieur Dracula et de ses innombrables châteaux.


Budapest, ville aux deux visages

Après un long, long voyage en train (Pau, Toulouse, Avignon, Lyon, Genève, Insbruck, Vienne et enfin Budapest), soit plus de jours de teuf-teuf et autres tape-cul ambulants, nous débarquons en Hongrie pour la première étape de notre voyage. Direction l'auberge de jeunesse, histoire de se délester de nos encombrants sacs à dos et de pouvoir profiter de cette ville si vivante.
Budapest est en fait l'association de deux villes vraiment différentes : d'un côté Buda, bâtie sur une colline, d'où domine le château majestueux de maintes lignées royales. Sur les flancs de la colline, des quartiers aux rues pentues et étroites menant toutes à son sommet. Plutôt beaux quartiers verdoyants sur le bas, la ville est plus touristique sur ses hauteurs avec ses petits commerces aux façades multicolores. De nombreux bus permettent d'accéder directement au château (pour les fauchés, il y a des campings sur la bordure extérieure de Buda accessibles en bus), mais la montée à pied est incontestablement agréable ... On y a dégotté un établissement thermal (la spécialité de la capitale hongroise) vraiment reposant :)
Le Parlement et le Danube

Országház utca dans le quartier du Château de Buda

De l'autre côté du Danube, Pest fait face sur la plaine, avec le Parlement en tête de pont. Pest est la ville "nouvelle", avec tout ce que çà comporte de vivant et de bruyant. L'architecture, quoique pas forcément nouvelle, n'est pas aussi belle qu'à Buda, mais le tout est riche en population bigarrée et colorée. Les rues sont animées le jour comme de nuit, la faune et la flore du centre est l'attraction principale (vendeurs à la sauvette, tziganes, jongleurs, voleurs, prostituées) d'une ville qui grandit trop vite sans prendre le temps de faire attention à tout le monde. On sent vraiment ici que le capitalisme se fait à deux vitesses: ceux qui loupent le train se retrouvent très vite à la rue, alors que de l'autre côté les nouveaux riches pavoisent tout luxe dehors.
Cette ville propose un agréable compromis de vie : bars et boîtes (un peu trop anglicanisés à notre goût) la nuit, thermes, quartier idéaux pour flâner la journée. La dernière nuit fut chaude: le train nous attendant à 8 heures le lendemain matin, on a attaqué bille en tête la soirée, whisky et bière coulant à flot, pour la finir avec les clodauds au petit matin à la gare, fatigués et réveillés avec un bon coup de matraque dans le ventre par une police locale pas vraiment compatissante ... Heureusement finalement qu'ils étaient là, sinon le train partait sans nous !


Bratislava, aux portes du tiers-monde

Une immense usine délabrée vous souhaite la bienvenue à l'entrée de la ville. Des tuyaux percés, des fenêtres brisées, une végétation reprenant sa place, le centre-ville n'est guère plus glorieux : immeubles à l'abandon, trottoirs percés, poussière agressive. L'on croirait au passage d'un typhon, aux ravages d'une guerre, à la fin d'une ruée vers l'or : la Slovaquie, abandonnée par son grand frère tchèque, n'est plus qu'un champ de ruines sur lesquelles on cherche à survivre.
En plein centre-ville, un vieil homme nous aborde dans un français presque impeccable : la rencontre est surréaliste dans ce décor d'après-guerre. Il a appris le français en autodidacte durant l'époque communiste, féru de notre littérarure. Il est tellement heureux de pouvoir enfin s'exprimer, nous le sommes autant d'avoir l'occasion de poser les questions qui nous brûlent les lèvres ... Une seule phrase pour résumer sa pensée : "De nos jours, les gens meurent de faim dans la rue. Avant, sous le pouvoir communiste, tout le monde avait un toit et à manger ... Faute de mieux ! Actuellement, seuls les voleurs prospèrent !!!".
Nous acquiesçons. Le passage trop brutal et sans assistance d'un monde régi à un monde libéral laisse beaucoup de gens sur le bord du chemin.


Merci à Jean-Da pour le drapeau ... il est peu plus gros que les autres, mais çà tombe bien, j'avais vraiment appécié Prague :)

Prague, l'éternelle romantique

L'arrivée à la gare ressemble plus à un gigantesque marché de foire qu'à une gare de province paisible. Les rabatteurs d'agence de location d'appartements vous harcèlent ... Les éviter autant que possible, ou alors faire jouer la concurrence (en dollars ou deutschmarks), histoire de les mettre face à face en compétition. Essayer plutôt de repérer rapidement les particuliers, moins "collants", et qui proposent souvent des affaires très intéressantes; on dégotte un appartement situé sur les hauteurs de la ville, quartier plutôt chic, immense (plus de 100 m²) pour un peu de plus de 30 F par nuit et par personne ! On explique au propriétaire que ce n'est pas la peine de nous donner toutes les clés, celle de la chambre nous suffisant largement (à moins d'organiser une rave chez lui !).
Prague, c'est deux visages : de jour, une ville romantique du moment que l'on s'échappe du centre ultra-touristique (les japonais ne sont pas tous à Paris, loin de là), avec des petites rues situées sur les hauteurs derrière le Danube tout à fait délicieuses, une ambiance feutrée et douce, avec ses petits lampadaires, sa population bigarrée, hétéroclite et artistique. La nuit, des bars rock, où si l'on sort des griffes de l'emprise américaine, révèlent surprise sur surprise, de petits concerts dans des caves à peine aménagées, punk, hard, blues, jazz, pop, tout a sa place à Prague, à l'image de la ville et de ses habitants.
La nourriture nous a été une découverte agréable. Le propriétaire de l'appartement nous a réservé une drôle de surprise en nous indiquant un restaurant: on atterrit avec nos frusques de routard dans un endroit très classe, genre hommes d'affaire cravate-gourmettes en or, on fait tâche d'huile dans l'ensemble ! Petits toasts saumon et au caviar, entrée, plat, dessert, groupe de musique, un régal pour les papilles ! On pressent la note salée qui va nous obliger à sérieusement réduire notre train de vie, on s'en sort pour environ 40 F par tête de pipe !!! Ce resto deviendra notre cantine, on y retournera tous les midis passés à Prague, on fera copains comme cochon avec le serveur pourri de manières, mais on est explosé de rire de voir le contraste entre nous et le reste de la clientèle.
La capitale de la République Tchèque est sûrement l'endroit, comparé à Vienne toute proche, qui propose le plus de plaisirs dans tous les sens du terme à un tarif presque dérisoire pour les Occidentaux. A marquer d'une croix pour une lune de miel endiablée ...


Berlin, l'indivisible


Varsovie, après les ruines

A 6 heures du matin, le premier contact avec la capitale polonaise n'est pas des plus réjouissants. Après les fortes chaleurs de l'Europe centrale, la température a fortement baissé, la gare centrale est remplie de clochards et marginaux, le tout moisissant dans une odeur d'urine et de merde. On est vraiment dans le pâté, on n'a pas fermé l'oeil depuis deux nuits ...
Le routard précisait bien que le train du vendredi soir entre Berlin et Varsovie n'était pas forcément fréquentable, on l'a vite compris: dès que nous faisions mine de fermer un oeil, un individu essayait de pénétrer dans notre compartiment, plongeant la main dans nos sacs à dos. A force de les mettre dehors, nous n'avons plus fait la distinction entre voleurs et honnêtes gens, et le contrôleur est venu nous imposer la présence de 6 arméniens chargés de bagages; un compartiment initialement prévu pour 6 personnes, nous voilà entassés les uns sur les autres, en train de vanter les mérites de Charles Aznavour et de la Croix Rouge Française ...
Vue du centre historique de Varsovie

La ville médiévale

L'auberge de jeunesse accepte nos sacs, mais nous pourrons pas nous reposer avant 16 heures. Les Polonais sont par définition très gentils, particulièrement avec les Français. La ville a été presque entièrement reconstruite après la seconde guerre mondiale (où elle avait été complètement rasée), seul sur la colline subsiste un quartier charmant faisant office de vieille ville. Il règne en ces murs une quiétude philosophique, entretenue par un climat finalement doux, de la vodka délicieuse et des plats typiques (du boeuf en petits morceaux avec des pâtes hachées menues relevées par une sauce aux légumes notamment).
La capitale polonaise de nuit n'est pas franchement le clou du spectacle, seules quelques boites à la musique occidentale attirent les jeunes Varsovites. Le plus encombrant est finalement la monnaie, le zloty : pour 500 FF , vous vous retrouvez avec approximativement 3 000 000 de zlotys, et quand on découvre qu'il y a des billets jusqu'à 10 zlotys et moins !!! Régler avec un gros billet entraine vite de se retrouver avec une liasse d'un centimètre de largeur en guise de monnaie.