Sur les traces des Incas
Le décompte est honorable: j'ai réussi à dormir 4 heures, Alex, elle, a eu juste le temps de cligner des yeux, soit une heure de sommeil à tout casser. Autant dire que le jour naissant ne nous trouve pas dans bon un état de fraîcheur.
La grasse matinée a eu de nouveau raison de nous, nous trainons au chaud jusqu'à 8 heures. La matinée est meublée par l'organisation des journées suivantes, soit la visite de la Vallée Sacrée des Incas, le Machu Picchu, et le voyage jusqu'à Puno. En faisant jouer la concurrence des agences de la Plaza de Armas, nous arrivons à des prix intéressants, tous négociés en dollars comme souvent lorsqu'il s'agit de grosses excursions.
Selon le programme établi la veille, nous partons pour la Vallée Sacrée des Incas à 9h. La première étape est le site archéologique de Pisac (prononcez "Pisar"); pour y parvenir, une longue montée à flanc de montagne nous attend, sur un chemin parsemé de roches et souvent pas assez large pour y croiser une autre personne. Le vertige ne doit pas être de mise, car nous surplombons la vallée de plusieurs centaines de mètres.
Le lever nous rappelle que les matinées sont ô combien fraîches à cette altitude-là. On se fait récupérer sur la Plaza de Armas par un taxi pour l'embarquement à la San Pedro Estacion. La gare, malgré l'heure matinale, est déjà bien remplie, de touristes pour la plupart, et les trois départs pour le Machu Picchu en une heure de temps favorisent la cohue générale.
Un petit hôtel sur les hauteurs de la ville (tout est relatif lorqu'on parle de hauteur à Cuzco, car on a toujours l'impression de monter lorsqu'on marche) nous accueille à 7 heures du matin; vu nos mines décomposées, le patron ne tarde pas à nous proposer une chambre prête. Nous nous écroulons dans le lit pour un petite sieste jusqu'à la fin de matinée. La chambre, après un coup d'oeil reposé, a un énorme avantage: elle propose une vue imprenable sur Cuzco, sa Plaza de Armas, où se déroule une parade regroupant l'ensemble des collèges de la ville, et ses faubourgs.
Un petit coup de "turista" plus tard (éviter désormais la nourriture vendue à la sauvette notamment dans les terminaux de bus), on part à pied visiter le site de Sacsahuaman au dessus de Cuzco. Place où était célébré la fête du soleil pour le premier soltice d'été, elle est bordée par 3 rangées de murailles de 4 à 6 mètres de haut, dont les pierres, énormes (plusieurs tonnes), sont si bien ajustées qu'il serait difficile de passer une épingle entre.
Un peu plus haut, la colline de Kenko avec son temple dont restent les fondations, était le rendez-vous des cérémonies religieuses, pour sacrifice, audiences, et conciliabule entre dignités de la société Inca. Il y a encore un site à quelques kilomètres de là, mais la distance, l'altitude et l'intérêt moindre ne nous font pas pousser nos pas jusque là-bas.
La marche éprouvante nous ouvre l'appétit, et il ne sera pas forcément comblé avec les taillarines "limite consommables". La ville dans cette soirée offre un visage d'harmonie intérieure et de douceur de vivre, ce n'est pas pour rien qu'on la surnomme le "Katmandu des Andes".
Nous hésitons un moment sur la possibilité d'effectuer un trek de 4 jours sur le Chemin des Incas jusqu'au Macchu Pichu, mais malgré les conseils d'autres routards sur le caractère féérique et aventureux du voyage, et la possibilité d'arriver au petit matin sur le site, le côté physique (passage de col à plus de 4000 mètres d'altitude) décourage Alex et nous nous rabattons sur une formule plus reposante.
L'après-midi nous voit courir dans les ruelles tortueuses et pentues de cette ville superbe à la découverte de monuments datant pour la plupart de l'invasion espagnole. Le ticket général pour l'ensemble des sites facilite la visite et l'accès aux guides, quand il y en a. Nous débutons par la cathédrale (catholique) de Cuzco, qui perd la suprématie religieuse de la ville face à celle des Jésuites, tout au moins sur la richesse des ornements et des incrustations. Suivent le musée d'Art Religieux, avec un explicatif fourni sur les grandes écoles péruviennes et leus principaux artistes (tout en sachant que la référence en matière de peinture et sculpture à partir du XVIème siècle était bien sûr européenne), l'Eglise San Blas et le quartier du même nom qui l'entoure.
Les rues sont ici de vrais souks à tissu, déclinés sous toutes leurs formes, décoratives ou utiles. A la tombée de la nuit, des marchands ambulants déploient leurs marchandises sur le trottoir des alentours de la Plaza de Armas, et même s'il n'est pas évident de différencier l'authentique des répliques plus ou moins grossières, je finis par dégotter une tenture "Las Lecheras", "Les Laitières", qui suffit à mon bonheur, à un prix très raisonnable comparé aux commerçants "établis".
Le repas mexicain du soir met un peu plus de piment à un endroit qui s'en serait ma fois bien passé.
Arrivés sur le premier plateau, nous découvrons les vestiges d'anciennes habitations; plus la maison était située sur les hauteurs, plus son propriétaire était d'un rang élevé dans la structure sociale des Incas. L'emplacement de ce "village" est à la fois magique et stratégique: situé sur l'arête de la montagne, il permet de surveiller les deux vallées voisines.
Après un arrêt pour "l'almozar" à Urrumbara, nous partons pour Ollantaytambo par la vallée richement dotée de cultures, chemin effetué voilà cinq siècles par les Espagnols avides de conquêtes et d'or. Ollantaytambo, remarquablement conservé, présente de superbes aménagements, notamment de part ses immenses terrasses qui font penser à un immense escalier taillé dans la montagne, son temple et ses intallations dédiées à l'observation des étoiles.
Mais le plus saisissant de cet ensemble architectural est sûrement les sculptures phénoménales qui font face au site, sur une montagne imposante. On peut se demander encore une fois comment les Incas on pu réaliser ces prouesses artistiques, sinon au prix d'efforts immenses en ingéniosité et main d'oeuvre (venant des peuples soumis, pour la plupart). Notamment, un masque dont on ne voit que le profil d'ici, construit pour qu'à chaque soltice d'été, le soleil apparaisse juste au creux des yeux comme une lumière irradiant le site: un résumé des connaissances astrologiques de ce peuple au service d'une caste religieuse qui asseyait ainsi son emprise sur le peuple.
A l'aide de schémas, nous voyons comment ces villes ont été dessinées suivant des dessins précis: Ollantaytambo aurait la forme d'un lama, Pisac d'un condor et Cuzco d'un puma; même sans mettre en doute la véracité de ces informations, ce n'est pas facile de discerner ces animaux mythiques des Incas dans l'alignement des constructions.
L'après-midi s'avance et nous reprenons le mini-bus en direction de Chincheros, dernière étape perchée sur un haut plateau au dessus de la Vallée Sacrée; la vue est saisissante de beauté: d'un côté la cordillère des Andes enneigée, de l'autre des vallées quadriées par les cultures et élevages. Le village en lui-même réserve peu de surprises, sinon une église coloniale construite sur d'anciennes fondations Incas, et une petite place où les derniers rayons de soleil servent de chaudes couleurs.
De retour à Cusco vers les 19h, nous nous faisons un brin de popote, histoire de ragaillardir notre estomac pour le lendemain.
Les 114 km du voyage sont enrichissants de part les différents paysages traversés (haut plateau, montagne, plaine fertile, et arrivée dans une région où la végétation est verte, dense et riche). Entre des portes de train jamais fermées (monter ou descendre du train ne nécessite pas son arrêt complet), les petits chanteurs fils des paysans des vallées voisines, et les vendeurs ambulants, nous finîmes par arriver à 11h (dépasser les 30 km/h relevait d'une descente prononcée). Nos reins allaient être de nouveau être mis rudement à l'épreuve, dans un bus jouant à saute-mouton pendant une demi-heure dans la montée pour le site.
Le temps de rassembler le groupe dont nous faisions partie, de trouver les billets, et nous voilà embarqués dans trois heures d'explications passionnantes sur l'origine du site, sa vie, sa découverte et sa restauration. Que dire du Machu Picchu, sinon que son image reste à jamais gravée dans votre tête dès que vous l'apercevez ? Ses constructions, la manière qu'avaient les Incas de s'adapter aux contraintes du terrain (surtout que le choix de l'emplacement ne se faisait pas pour sa facilité d'accès) et de se fondre dans la nature, et surtout le site lui-même, surpomblant moultes vallées dépliant leurs méandres sur des kilomètres à la ronde, îlot d'harmonie perché au milieu d'une forêt luxuriante.
Seul regret de la journée: le peu de temps qu'il nous a été accordé pour pouvoir visiter personnellement les ruines. Et avec un peu de courage, je serai bien monté sur le piton rocheux où les Incas avaient aménagé leur poste d'observation; la montée est rude, la descente encore plus, il faut d'ailleurs signer une décharge de responsabilité pour pouvoir entreprendre cette périlleuse ascension, laissant les rares téméraires hébétés par l'effort et la peur mêlés.
La tête dans les nuages, nous descendons au train, poursuivis par des gamins, qui à la grande joie des touristes, lancent un grand "Good Bye" juchés sur des rochers au bord de la route, avant de descendre par un escalier raccourci nous surprendre au virage suivant. Un américain leur jette des billets par la fenêtre.
Le retour en train est, la fatigue s'accumulant, usant par ses sièges en bois et le froid qui descend avec la nuit, long par la durée (4h30) et ses multiples erreurs d'aiguillage. Mais que de bonheur, le soir, de commenter ce superbe voyage devant de chaudes "taillarin saltado" ...