petites histoires de France Saugnac et Cambran, France

31/10/2014

De retour du continent sud-américain, je pose mon deux roues sur notre terre de France. Un pays devenu un lieu de peur et de défiance à écouter les mauvaises ondes. On regarde l'étranger d'un mauvais oeil. Les mamies lèvent d'une main tremblotante leur canne en guise d'auto-défense, les mamans rangent d'un geste protecteur leur progéniture dans leurs jupons, les commerçants affûtent en permanence leur argument pour refuser l'aumône et tirent leur grille prestement pour se protéger de l'adresse du voleur. Les chiens aboient d'impuissance et de rage derrière une clôture grillagée, tandis que les chênes bombardent de glands et les pigeons de fientes l'imprudent voyageur.

Quoi, on parle bien de la même France ? Ce petit pays où le Monde se presse, attiré par les paysages, la culture, la douceur et l'art de vivre ? La France, cette même malle au trésor composée d'une diversité extraordinaire d'histoires ordinaires ? Alors partons à l'improviste, partons éprouver si notre hospitalité est toujours vivante. Voyons si la bouteille de vin en forme de tour Eiffel colorée trône toujours sur nos tables. Voyons si la miche de pain lui tient compagnie tel un Mont Saint Michel friable. Voyons si le voyageur de passage a encore sa chaise de paille ou de bois, l'oreille ouverte aux confidences d'un dîner sans lendemain.

Voilà une flagrance de France, respirée pendant un mois de bohème à bicyclette.

Premier arrêt dans un petit village rural de l'Armagnac. La jeune et plantureuse secrétaire de mairie n'y va pas par quatre chemins en me racontant sa vie ici. Elle a été longtemps la cible des épanchements de testostérone des agriculteurs du canton, et évidemment de la jalousie de leurs femmes. Avant de révéler son homosexualité lors d'une fête locale. Gorges chaudes, rires en coin, longue tirade du "Je m'en doutais". Aujourd'hui, les rôles sont inversés. La secrétaire me crie qu'elle n'en peut plus de son impuissance à trouver l'âme soeur, insatisfaite de relations avec quelques-unes de ces mêmes femmes qui la fréquentent secrètement : aucune n'a le courage d'assumer son attirance, préférant le confort d'une double vie et la sécurité d'un couple conformiste et hétérosexuel.

Le massif du Sidobre, un hameau perdu dans un vallon verdoyant. Une dame énergique me pousse le pichet de vin rouge devant le nez pendant qu'elle me confie l'histoire d'un de ses cousins. Installé un beau jour autour de cette même table, il lui fit une demande singulière du haut de ses 78 ans : que sa jeune cousine le conduisît en Alsace, là où sa conscription obligatoire l'avait obligé à aller en 1939. Un voyage pour le souvenir. Enfin, c'était la raison de façade : car sur la route, il finit par avouer à sa parente que pendant le bombardement de la Banque de France locale par les Allemands, lui et un comparse avaient rempli une malle d'or et de bijoux en se servant dans les coffres éventrés ... pour la cacher au fond d'un bois alsacien. Las, la mémoire défaillante du cousin et le remodelage du paysage continuent à assurer la tranquillité du trésor. La dame ponctue son histoire d'un : "De toute façon qu'est-ce qu'on en aurait fait ?".

Sur le plateau du Larzac, en raison de l'alerte météorologique, je m'abrite dans une bâtisse protégée par une haute muraille, érigée en son temps par les Templiers. A la table de ma famille d'accueil, les trois enfants se ruent sur les plats chauds pendant que la pluie tombe à verse dehors. Le père essaie de contenir la frénétique agitation, la mère sourit d'un air entendu. Arrive l'aîné, qui a fini son service dans un restaurant local. De sa tête d'idiot du village il commente son travail du jour dans un concert d'onomatopées et de borborygmes ... et pourtant ... sous son apparence autiste, le garçon est un surdoué capable de tout enregistrer. D'ailleurs, dès le lendemain, il partira pour la capitale, sollicité une nouvelle fois par une chaîne de télévision pour le jeu "Questions pour un champion". Et vu qu'il a déjà gagné trois fois consécutivement, il participera à l'émission rassemblant les champions du jeu. En attendant des touristes téléspectateurs poussent leur visite du Larzac jusqu'à son restaurant pour le rencontrer, et cette mini-célébrité le saoûle déjà.

Au pied des premiers contreforts des Cévennes, une maison aux murs épais de pierre laisse apparaître une tignasse rousse qui dépare dans les champs de vigne. Le bon vivant qui me reçoit, agronome de métier, a inventé il y a quelques années une nouvelle molécule à base de melon, sensée régénérer plus rapidement les cellules vivantes. Et au gré des hasards, cette molécule a voyagé jusqu'aux Etats-Unis, où elle a permis à Cindy Crawford de rester toujours aussi éclatante. Le nageur Alain Bernard en faisait lui aussi une bonne consommation, afin de récupérer plus vite entre deux efforts. Et notre agronome, fils de paysan héraultais, reçoit aujourd'hui régulièrement la télé américaine dans ses champs de melon afin de promouvoir sa molécule magique. Fier d'une tignasse rousse ébouriffée qui lui donne un air de professeur Tournesol.

Les marécages de la Camargue. Je demande à un grand père où trouver un espace pour planter ma tente, il me propose sa pelouse. Puis m'invite à le rejoindre dans une cuisine carrelée et propre. Devant un thé, avec un accent chantant ses racines maghrébines, le vieil homme me raconte les longues journées de pêche avec son défunt voisin. Près de l'étang de la commune, ce même voisin lui racontait que pendant la guerre civile espagnole, il hébergeait des républicains venus se réfugier de ce côté-ci de la frontière. Jusqu'au jour où il finit par lui montrer les poèmes que l'un de ces réfugiés, un écrivain espagnol, lui avait donnés en échange de l'hospitalité. De jolis et authentiques feuillets, signés de la main de Federico Garcia Lorca. "Hélas, depuis la mort de mon voisin, les poèmes dorment dans le coffre d'une banque locale" me chuchote le grand père.

Au pied du massif du Vercors, je fête le 33è anniversaire de la mort de Brassens au milieu d'une partie de fans éternels. Assis au bout d'une grande table en bois, je fais de mon mieux pour reprendre les couplets avec ma voix de fausset et mon verre de piquette. Et puis j'écoute. Mon voisin de droite qui me ressasse qu'il voulait à sa mort être embaumé avec du miel, cela conservait les Egyptiens, alors pourquoi pas les gens de la Drôme ? Mon voisin de gauche qui se bat pour la garde de son fils, à moins que cela ne soit contre son addiction à l'herbe locale. Plus loin un constructeur de yourtes qui à lui tout seul voudrait combler le manque de logements sociaux en France. Et puis une mama virevoltante qui chante à capella les quatorze albums de Brassens, en encourageant en créole l'assemblée à en faire autant. Une institutrice déjantée l'accompagne en faisant pleurer son violon et les âmes, tandis qu'une assistance sociale lui donne la réplique avec son accordéon endiablé ...

Ce matin je me lève avec un bon mal de tête, et l'envie de jeter mon vélo aux orties ... et puis je prends cette petite route à droite, dans la descente du col de Menée. Au bout des virages serrés, le cirque d'Archiane. Je pose mon vélo, plante ma tente sur un pré abandonné par les vaches. Face à un endroit enchanteur dont je n'avais jamais entendu parler quelques heures auparavant, je prends enfin le temps de mettre par écrit mes dernières aventures. L'obscurité monte, accompagnée d'une myriade d'étoiles qui se mettent à tournoyer autour de ma toile comme une boule à facettes de discothèque.

Je lève les yeux au ciel ... ils escaladent les grandes falaises majestueuses, puis se jettent dans le vide. Sautant d'étoile en étoile, imaginant autant de mondes qu'elles peuvent en abriter. Des mondes originaux, qui vivent, crient leur besoin d'exister, revendiquent leur différence, partagent leurs doutes ou leurs succès, des mondes qui ont tous leur place dans le ciel, cohabitant et s'éclairant mutuellement ... pour composer un ciel en parfait miroir de la richesse infinie et humaine de nos petites histoires de France.

Jéjé

Pris sur le vif

Déjà parcouru

     1186 km      17053 km
     168 km      232 km
     6342 m (6)


Où sommes nous ?


Date : 13/08/2014
Lieu : Saugnac et Cambran, France
Déplacement : Repos
Direction :

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