Tanana et moi Tanana River, Alaska, Etats-Unis

13/04/2013

Mercredi 10 avril : 7h de ski, 16 km parcourus

Je traîne dans mon sac. Ce sont les rayons du soleil qui caressent la toile de tente qui me sortent de mon duvet. Le ciel est bleu azur, le soleil est passé du blanc laiteux au jaune pétard. Radical changement d'atmosphère. Je saute sur la banquise de la rivière pour essayer de repérer quelles sont les parties assez dures qui me permettront de moins galérer. Malgré la neige fraîche, je devine à la consistance de la neige une trace assez large et rectiligne, un ancien passage de chiens de traîneau sûrement.

Je saute dans mes chaussures, les chaussures s'accrochent aux skis et Barracuda s'accroche à moi. Un attelage de fière allure. Je passe la plupart du temps le nez au vent, à humer la piste. Couleur, aspérités, reflets, consistance, morceaux de glace, autant d'éléments qui m'aident à trouver le meilleur chemin dans l'océan de neige. La moindre erreur se paye en plusieurs dizaines de minutes, empêtrés dans une neige lourde et profonde. Parfois ce sont les animaux qui m'aident à trouver le meilleur chemin : les traces d'orignaux, voir d'ours, ou même de loups (?), sont des marqueurs bien visibles sur l'état de la neige.

Autour de moi le paysage s'ouvre : de grandes collines au nord qui surplombent la rivière de quelques centaines de mètres, la taïga au sud, cette immense forêt boréale de conifères. Et au loin, dans le sud, on devine une chaîne de montagnes : l'Alaska Range sans aucun doute, avec le Denali que je ne vois pas encore.

Le soir venu, je passe une bonne demi-heure au dessus de la rivière à terrasser une plateforme dans la neige pour y planter ma tente : la récompense est un magnifique coucher de soleil qui baigne l'ambiance féérique.

Jeudi 11 avril : 8h, 20 km parcourus

Le fleuve se perd en méandres et en bras, je garde le cap au sud-ouest sur ma boussole. Je n'ai toujours vu personne depuis 4 jours. Les 2 cabannes repérées sur les bords du fleuve sont abandonnées, et les seuls humains que l'on devine parfois pilotent leurs coucous loin au dessus de ma tête, utiliser les petits avions pour se déplacer est monnaie courante ici.

Alors que le temps se réchauffe et le soleil me tape sur le bonnet, faisant monter le thermomètre à un -5°C presque chaleureux, je fais face à une autre difficulté : les ponts de neige se multiplient, enjambant une glace fine et cassante. Les résurgences d'eau s'observent un peu partout. J'essaie de jouer la sécurité pour éviter de passer au travers en évitant les endroits "pourris". Mais souvent je n'ai d'autre choix que de serrer les fesses en franchissant un pont de neige, ou en entendant la glace craquer sous moi.

L'année dernière la débâcle des glaces s'est produite aux alentours du 24 avril. Cela me laisse encore 1 grosse semaine avant que cela devienne irrespirable ici, et sûrement un peu plus vu le froid de ces derniers jours. Pour me faire passer les frissons de la journée, je pose ma tente sur un superbe promontoire dominant le fleuve à l'est et à l'ouest, et je passe la soirée les pieds sur un beau feu de bois ... il y a du bois sec à profusion ici pour l'alimenter.

Vendredi 12 avril : 3h, 8 km parcourus

C'est le brame d'un orignal qui me réveille ce matin : j'en verrai d'ailleurs des traces fraîches tout autour du camp. Je décolle assez tôt en espérant trouver des conditions meilleures et une glace plus ferme. Le choix est payant car ma progression est rapide et sûre. Elle est seulement ralentie lorsque je m'arrête pour laisser passer deux orignaux, à une centaine de mètres devant moi. Ces bêtes peuvent être imprévisibles, autant leur laisser du champ.

Du coup quand je vois une cabanne abandonnée le long des berges, je me dis que c'est une occasion parfaite pour ne pas continuer à skier l'après-midi quand le soleil est au plus haut, et aussi faire sécher mes affaires qui ont pris pas mal d'humidité ces derniers jours (notamment le sac de couchage). Je passe 2 heures à remettre en état la cabanne, enlever la poussière qui s'est accumulée depuis des lustres et calfeutrer ce qui peut l'être. Puis je m'installe devant un feu de bois, je fais réchauffer le pot de Nutella qui avait congelé depuis quelque temps. Etalé sur une tortilla cuite au feu de bois, un pur bonheur.

Samedi 13 avril : 5h, 15 km parcourus

Les nuits sont toujours fraîches, aux alentours de -15°C, en témoigne la glace qui s'accumule autour de mon sac de couchage, dûe à l'air expiré. Mais lorsque le soleil se lève, il apporte avec lui plusieurs degrés qui poussent le corps hors de sa léthargie. Je vis désormais avec les rayons du soleil. Cela ne durera pas, car chaque jours on gagne entre 5 et 7 minutes de soleil. Plus qu'un mois avant le jour continu.

La bonne nouvelle de la matinée est la première moto-neige que je croise en une semaine, qui vient de Nenana et laisse donc une piste tracée jusqu'à ma destination. Barracuda est aux anges, elle couine de plaisir à glisser comme jamais. Il fait grand beau alors que j'arrive dans l'après-midi au terminus de ce périple à skis : pas trop d'efforts aujourd'hui, mais j'ai le visage cramé par le soleil et la réverbération de la neige.

Nenana, c'est d'abord un village de "natifs", entendez par là les indiens qui habitaient le pays avant qu'il ne soit colonisé par les russes puis les américains. Ici, ils semblent tous être nés avec une moto neige entre les mains, dès 8 ans on les voit filer à 60 km/h dans les rues de la petite bourgade.

Le temps que je me ravitaille et reconstitue mes réserves (de nourriture au moins :o)), et je prendrai la direction du nord en compagnie de Barracuda, pour rejoindre le terrain montagneux des White Mountains, une "étape" sûrement plus accidentée. A une prochaine Tanana, c'était un bon moment partagé tous les trois.

Jéjé

Pris sur le vif

Déjà parcouru

     1186 km      17053 km
     168 km      232 km
     6342 m (6)


Où sommes nous ?


Date : 13/08/2014
Lieu : Saugnac et Cambran, France
Déplacement : Repos
Direction :

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