Blanche Arctique White Mountains, Alaska, Etats-Unis

18/04/2013

Mardi 16 avril : 7h30 de ski, 23 km parcourus

Environ 200 bornes entre Nenana et l'entrée des White Mountains, et pas de transport public. Le pouce levé sur le bord de la route, j'attends la bonne âme et son pick up pour me trimballer moi, Barracuda, tout mon matériel "grand froid" et ma nouvelle semaine de réserve en provisions, jusqu'aux portes du Cercle Polaire Arctique. La bonne âme prendra 2 formes : un débonnaire cuisinier cajun de la Nouvelle Orléans, qui me confie son rêve de venir étoffer ses talents dans notre pays français si "marvellous" pour les amateurs de bonne chère, et puis Georges, un charpentier de semaine, meneur de chiens de traineau le week end, parti chasser le caribou avec son attelage et ses amis dans les Brooks Range, une chaîne de montagnes encore plus au nord que mon point de chute (pour en savoir plus, voir l'onglet Rencontres). Georges me convainc de démarrer mon périple à ski au nord des White Mountains et non au sud, car c'est ce qu'il aime lui, le nord et les paysages subarctiques. Et vu que le courant passe instantanément entre nous, je lui fais confiance et lui dis "ok" sans hésiter.

Le soleil est déjà bien haut lorsque je démarre dans une forêt basse de sapins ; une bonne partie d'entre eux sont calcinés, les incendies dûs à la foudre sont fréquents en Alaska et dévorent pendant l'été des dizaines de milliers d'hectares. Rapidement l'horizon se dégage, la végétation se raréfie, comme les traces d'animaux, car je ne croise au sol que de trop rares empreintes d'orignaux. Je suis dans un désert blanc, surmonté par un soleil brillant et blanc, où ne tranche plus aucune ligne d'horizon. Tout se confond, le relief de petites collines s'applatit pour laisser la place à une immense masse lumineuse, aveuglante et glacée : je suis en Arctique, mon rêve de skier dans ces espaces immenses prend vraiment corps.

Mercredi 17 avril : 5h30 de ski, 16 km parcourus

Lové au fond de mon sac de couchage, la nuit est longue et réparatrice, à la mesure de l'épaisseur de la glace incrustée dans les parois de la tente. Il fait -15°C, je savais qu'en venant plus au nord, le mercure du thermomètre resterait profondément enfoncé dans ses moufles. Quand je rechausse les chaussures de ski, mes jambes couinent, le plastique me lacère le bas des mollets. Il faut dire que j'ai changé de chaussures (et de skis), pour adopter une paire de skis "backcountry", des skis plus "tout-terrain" et adaptés aux terrains rugues et vallonnés que je vais rencontrer.

Je me couvre chaudement, mets ma cagoule, mon masque, et ferme tout espace qui permettrait à l'air de rentrer : le vent, à défaut d'être violent (aux alentours de 50 km/h), n'est arrêté par rien sur ces espaces déserts, et givre tout ce qui dépasse. Cela donne un spectacle magnifique. Sous mes skis la neige durcie est sculptée et cartonnée par l'air qui se déplace, je vois y progresser des rafales composées d'une horde innombrable de grains de neige, elles viennent gifler et recouvrir tout obstacle qui se présente, dont mon corps et ma luge. Je souris : je suis exactement là où je souhaite être, tout me pousse à m'enfoncer encore plus loin dans ces terres isolées.

A l'est s'élève une chaîne de montagnes qui a l'air de dépasser d'un millier de mètres environ la plaine où je me trouve, je m'y dirige droit dessus. Je camperai à son pied, et profiterai des dernières lumières chaudes du soleil, qui enfin offre à 10h30 du soir une couleur à ce paysage dantesque, un rose saumon qui coiffe les sommets les plus élevés, face à moi.

Jeudi 18 avril : 4h30 de ski, 14 km parcourus

La carte sommaire que j'ai entre les mains doit avoir raison : pour traverser cette chaîne de montagnes, il va falloir grimper un col qui se trouve là-bas en haut, vers le nord-est. Je démarre assez tôt, car je ne connais pas trop la configuration du terrain. Vu le vent toujours présent, il ne serait pas bon que je me trouve obligé à dresser la tente en pleine pente, sans rien pour me protéger des courants glacés de l'air arctique.

Je prends régulièrement de l'altitude, l'effort sur les skis est important, les appuis sont plus fuyants sur la neige durcie ... et toujours ces chaussures qui me concassent les jambes. Je décide de passer en mode "à pied", la neige est assez glacée pour supporter mon poids sans céder : le choix est payant, je progresse bien plus rapidement et la douleur s'estompe.

Je suis pratiquement au niveau du col, entouré par des crêtes blanches qui s'élèvent tout autour de moi, je marche les yeux levés tellement que le paysage est magique. J'essaie de repérer des dall sheep, ces grands moutons blancs sauvages du nord de l'Amérique, habitués à des environnements bien plus hostiles que les moutons qui décorent nos vertes prairies pyrénéennes. Mais peine perdue, toute vie me fuit ici.

Je n'ai pas terminé ma pensée que le vrombrissement de 3 motos neige coupe mes réflexions : il s'agit de rangers qui parcourent le nord des montagnes à bord de leurs puissantes machines, remettant en état les rares abris qu'ils y ont construit. Je ne sais pas qui est le plus surpris, en tout cas ils me témoignent une attention non feinte. "Il y a une cabanne en bas du col, tu pourras t'y héberger et t'y chauffer cette nuit. Fais attention lors de la descente du col, elle est raide. Et en bas de la vallée, la glace très présente". Ils s'enquièrent une dernière fois du fait que je sois correctement équipé et dans une bonne forme, et repartent dans un nuage de flocons soulevés par leurs chenilles.

La descente est en effet beaucoup moins amicale que la montée : la partie délicate consiste à maîtriser la luge, qui part en travers, et alternativement se scratche dans les arbres ou arrive à toute vitesse à hauteur de mes mollets. On arrive en bas tous les deux, heureux d'être entiers. La cabanne est là, et la couleur de son bois chaud nous invite à y passer la nuit. Une fois que j'aurais maîtrisé l'aération du poêle nécessaire à son bon fonctionnement, je confirme l'infidélité faite pour la nuit à ma fidèle tente North Face : comment à résister à un refuge où la température dépasse presque le 0°C !

Jéjé

Pris sur le vif

Déjà parcouru

     1186 km      17053 km
     168 km      232 km
     6342 m (6)


Où sommes nous ?


Date : 13/08/2014
Lieu : Saugnac et Cambran, France
Déplacement : Repos
Direction :

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