Glace au soleil White Mountains, Alaska, Etats-Unis

21/04/2013

Vendredi 19 avril : 13h30 de ski, 46 km parcourus

Je suis à 70 kilomètres de la route au sud des White Mountains, et à une centaine de kilomètres supplémentaires de toute habitation. Et je n'ai que 4 jours de réserve de nourriture. Je pars donc dans l'idée de doubler l'étape de la journée, pour une grosse trentaine de kilomètres.

D'entrée, je comprends l'avertissement de Georges et plus récemment des Rangers : les overflows sont omniprésents en ce fond de vallée ombragé. Il s'agit de ces ruisseaux entièrement gelés d'où toute neige a été balayée, et où pendant le jour remonte de l'eau, qui regèle par dessus la glace pendant la nuit. Sculptant de manière chaotique les cours d'eau.

Au vu des températures et de l'épaisseur de la glace, peu de chances de passer au travers. Par contre marcher (les skis que j'ai n'ont pas de couteaux) sur des centaines de mètres de glace vive, où le moindre déséquilibre vous envoie le cul ou la tête au sol, ce n'est pas ma spécialité ... mais il faut que ça le devienne, car je ne suis pas au bout de mes peines. Nous voilà dans un ballet d'équilibristes, entre Barracuda qui fait des 360 derrière ou devant moi, et moi qui cherche à donner le moins d'impulsion possible à ma marche. Parfois la glace craque, parfois les résurgences d'eau n'ont pas regelées, et je me retrouve les chaussures baignant dans une fine couche d'eau. Et je me souviens de ce que disaient mes rencontres connaissant le bush alaskan : "N'aie pas peur, être là est souvent bien plus sûr que de passer sur les côtés de la rivière, sur une neige dont tu ne sais pas vraiment ce qu'il y a en dessous".

Quand je le peux, je lève la tête : les falaises du Limestone Gulf me surplombent à l'ouest, un petit air des Grands Têtons du Wyoming. Même verticalité, même splendeur. Cela vaut bien une petite glissade de temps en temps. Une vingtaine de kilomètres parcourus, et j'arrive au Fossil Creek, une rivière qui délimite le passage dans une nouvelle zone de collines. Je décide donc de poursuivre ma route. Je remonte une pente raide, le soleil tape fort, et la végétation des grands conifères a disparu : je transpire abondamment, ce n'est jamais très bon dans ces climats, car le coup de froid qui viendra après et me gèlera les vêtements va bien me refroidir. Je me change donc. Durant la descente sur la Beaver Creek, je repère dans la neige plusieurs traces d'un petit félin, sûrement un lynx, assez présent ici.

Il est 18 heures bien sonnées, je vais poser ma tente non loin du cours d'eau gelé, mais un attelage de chiens de traîneau me coupe dans mon élan. Ses propriétaires ont l'intention de passer la nuit dans la même cuvette que moi, et au vu du hurlement des chiens dès qu'ils m'aperçoivent, la cohabitation risque d'être difficile. Je reprends mon barda, et décide de pousser le bouchon encore plus loin.

Je monte, je descends, je remonte, je redescends, c'est du roller coaster incessant, j'ai mis les skis sur la luge et je tire l'attelage en essayant de garder un bon rythme. Mes thermos sont vides, je profite des derniers rayons de soleil pour me faire fondre un peu de neige, faire chauffer un thé et attaquer l'obscurité bien hydraté. Je marche désormais à la lueur de la lune et ma lampe, l'objectif est d'atteindre un nouveau ruisseau, autour duquel j'espère trouver une végétation suffisante et un emplacement à l'abri pour me protéger du vent qui se lève. Vers 22h30 j'arrive à Wickersham Creek, et l'endroit s'avère être parfait. Mon ventre crie famine, je monte le camp, dévore des tortillas, la moitié d'un pot de beurre de cacahuètes, un plat déshydraté patates-fromage-broccolis et 350 grammes de pâtes. Le ventre plein, je tombe comme une masse.

Samedi 20 avril : 3h00 de ski, 11 km parcourus

Le soleil est déjà très haut alors que je sors la tête de la tente. Mon corps a encore en mémoire la "bambée" d'hier : aussi copieux a été le dîner, aussi copieux sera le petit déjeuner. Des tortillas (mon "pain" de base), une moitié de pot de Nutella, des céréales en quantité, et des donuts aussi frais qu'ils peuvent l'être après 5 jours de congélation.

La température est bien plus élevée que les derniers jours : je me réchauffe plus facilement le matin, je peux aussi utiliser le réchaud à gaz au lieu du réchaud à pétrole (il ne fonctionne pas en dessous de -10°C, mais au dessus, est d'un emploi plus simple). Par contre la neige est alourdie de flotte, elle "mouille" tout ce qu'elle touche : ce n'est pas le cas lorsque les températures sont plus basses, où la glace n'humidifie pas les affaires et les vêtements.

Je suis au sud des White Mountains, dans une zone un peu plus "tracée" par le passage des moto-neiges. Un père et son fils s'arrêtent alors que je suis en train de tirer ma luge dans une côte, comme un bagnard son boulet. Il me propose de monter sur sa machine et m'amener en haut. "No way man", je ne vais pas céder à la facilité maintenant. Surtout que la récompense au sommet de la butte est à la hauteur de l'effort : un magnifique panorama à 360° sur les environs, une suite sans fin de collines blanches, boisées ou pelées, qui se noient à l'infini dans l'horizon, où que mon regard se porte. Le vent est tombé, ma tente trépigne d'impatience au fond de son sac, je ne lui refuse pas un instant de plus la joie d'être posée ici.

Dimanche 21 avril : 2h30 de ski, 12 km parcourus

Je suis à un pet de caribou de la Elliot Highway. Je tombe du lit, c'est à dire de mon matelas de 4 centimètres d'épaisseur, sur la neige réfrigérée. Même si j'ai les doigts encore tout raides lorsque je range ma tente, je me trouve bien efficace, car en moins de 1h30 tout est plié, le thé avalé et la luge chargée. J'accroche le mousqueton qui me relie à Barracuda à l'arrière de mon baudrier, puis j'ouvre vraiment les yeux en regardant l'heure sur mon GPS. Il est 7h30 du matin. J'en redéplierai presque ma tente pour repartir dans mon duvet, mais le soleil est déjà haut. Cela fait près de 2 heures qu'il est levé en fait, p..... de jour qui s'allonge.

Un peu moins de 3 heures plus tard, j'ai rangé les skis, et je lève le pouce le long de l'Elliot Highway, sur la route qui me ramène à Fairbanks. Rien ne bouge à plusieurs kilomètres, j'attendrai près d'une heure avant de voir un premier pick-up surgir d'un virage. Mais plus l'endroit est reculé, plus l'attention des Alaskans est grande. Il s'arrête donc, son conducteur m'aide à charger mon matériel dans le van qu'il remorque, déjà encombré par 2 motos neige et un quad, plus une tonne de matériel pour se déplacer et survivre dans le bush. Il me faut presque une échelle pour monter dans le pick-up, les 2 comparses du chauffeur y sont déjà installés. Tous ont des tenues de camouflage, l'un a entre ses jambes un fusil à lunette de gros calibre. Ce sont des chasseurs d'ours, qui reviennent la "besace" vide après 3 jours passés à traquer la bête.

Le plus jeune à ma gauche, qui tient le fusil à lunette, a le regard vide et la peau blafarde de l'ange exterminateur en manque de sang frais. Le second, à côté du chauffeur, avec un accent rural terrible, me fait penser un paysan de mon cru dans sa manière de moduler des grognements tout en tendant son verre. Le dernier, le chauffeur qui a appuyé sur la pédale de frein pour s'enquérir de ma situation, semble être le plus redoutable : chaque mot qu'il répond à son comparse blagueur à sa droite, provoque un vide glacial dans le pick-up. Je me dis un moment que j'aurai presque aimé que la chasse soit plus prolifique, ne serait-ce que pour détendre l'atmosphère. Au final, ils me proposeront à boire, à manger, et me raccompagneront à la porte de mon camp de base à Fairbanks. Dans le bush, une tête d'ours peut cacher un coeur d'eskimo.

Jéjé

Pris sur le vif

Déjà parcouru

     1186 km      17053 km
     168 km      232 km
     6342 m (6)


Où sommes nous ?


Date : 13/08/2014
Lieu : Saugnac et Cambran, France
Déplacement : Repos
Direction :

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