Nationale 109 Datong, Shanxi, Chine

22/07/2013

Mardi 16 juillet : 5h de vélo, pour 59km parcourus

Un chinois nous avait prévenu : "La nationale 109 est la seule possibilité pour quitter Pékin par l'ouest, mais elle est très fréquentée par les camions.". On a donc suivi la signalisation avec la même ardeur que le pélerin déploie pour reparcourir les chemins sacrés. Mais depuis une demi-heure qu'on roule dans cette petite vallée encaissée, à part quelques vieilles mamies apicultrices qui soignent leurs abeilles et nous fixent avec des yeux aussi ronds qu'elles peuvent les ouvrir, la foi nous a quitté : aucun chauffeur de véhicule dépassant une tonne et demi nous a dépassé, et même en deça de ce ratio ils se font très rares. Bizarre pour une route qui devrait être si fréquentée. Ce qui me conduit à penser qu'au dernier embranchement, on a peut être inversé quelques pictogrammes chinois.

On est bon pour planter la tente en attendant le jour et une meilleure route à suivre, et la seule surface à peu près plane se trouve dans le centre du village que l'on vient de traverser, Xiaweidiang. Les habitants nous interdisent de toute façon de la planter ailleurs, "trop de serpents et d'abeilles dans la montagne" qu'ils nous disent. On fournit surtout une bonne matière à distraction pour tous les vieux du village, qui s'installent à moins de trois mètres de nos sacs de couchage pour tailler la bavette du soir. Après avoir répondu à toutes les questions d'usage, on est obligé de faire un peu de ménage pour faire comprendre aux derniers récalcitrants que mamie s'impatiente sûrement à leur retard ; et que pour notre part on a besoin de sommeil, notre route ne fait que démarrer et les premiers tours de roue sont souvent les plus fatigants.

Mercredi 17 juillet : 6h de vélo, pour 74km parcourus

J'avais gardé un bon souvenir de la marque de vélo Giant lors de mon passage ici il y a 5 ans, et je me rappelle que Franck mon binôme avait un modèle Hunter 2.0 qui avait tenu le coup sur les routes concassées et boueuses du Sichuan. On a donc acheté le même modèle à Pékin, Berga et moi, mais il nous a coûté sensiblement moins cher : 135 euros, pour près de 200 si je me souviens bien en 2008.

Une dévaluation du yuan ? Ne pas y compter. La différence vient donc des "détails" : ce matin, la selle m'est restée entre les mains alors que je tentais de soulever le vélo, lesté des sacoches il est vrai. Puis la béquille s'est tordue alors que je tentais de ficeler mon paquetage à l'arrière. J'ai repéré quelques autres points de faiblesse, comme le fond de jante et les garde boue ... on n'est pas au bout de nos surprises.

L'après-midi est bien avancé, et alors qu'on allait se lancer témérairement dans l'ascension du premier gros col du parcours, ce qui nous aurait sûrement valu un campement à l'arrache dans une forêt remplie des sifflements de reptiles locaux, on repère une bâtisse en bord de route qui semble être un "motel" local. Quand on pousse la porte d'un bâtiment dont on ne pipe mot à la pancarte ornant sa façade, tout peut arriver : on met le pied dans une menuiserie, ou un institut de beauté, ou un local de réparation de pneus, ou encore une association des buveurs anonymes d'alcool de riz ... Derrière cette porte, il y a un restaurant, et derrière le comptoir, une patronne, qui nous confirme qu'elle aura aussi des lits pour accueillir les voyageurs bien repus. Bingo.

Jeudi 18 juillet : 5h de vélo, pour 53km parcourus

On rentre dans le Hebei, la province qui jouxte celle de la municipalité de Pékin. Et le moins qu'on puisse dire, est que les marches pour atteindre la porte d'entrée sont hautes. Un col à 1402 mètres, suivi d'un autre à 1375 mètres. 1300 mètres de dénivelé à gravir sur les pédales. Dans une forêt verte et humide, qui nous colle la transpiration à la peau. Il fait 28 degrés, juste assez pour nous empêcher de nous refroidir dans les descentes.

On fait une pause dans un petit village, et comme d'habitude, vu notre incapacité à comprendre les caractères de la carte du restaurant local, on s'assoie à une table et on montre les plats de la table des voisins, afin de faire comprendre que l'on souhaite manger la même chose qu'eux. Après dégustation, on confirme que ce midi cela sera un assortiment de légumes pimentés, et un plat de tofu mixé. Avec deux bols de riz supplémentaires, on s'assoie confortablement sur la selle dans le sens de la nouvelle montée. C'est le moment que choisit l'agent de police local pour contrôler nos passeports. Berga me dit "On a été balancé", je lui réponds "Sûrement". On ne passe jamais inaperçus dans les villages que l'on traverse, même les tombes semblent grincer à notre passage. Nos passeports nous sont rendus, rien à signaler, monsieur l'agent de la PSB (Police Security Bureau, Petits Salauds en Bleu en moyen mémo-technique) nous souhaite un agréable voyage, de la pluie et de nouvelles montées.

Vendredi 19 juillet : 5h45 de vélo, pour 86km parcourus

La brume persiste sur la vallée, on n'y voit pas à 200 mètres, et avec Berga on fait des suppositions sur son origine : brume de chaleur, car le thermomètre dépasse allégrement les 30°C ? Poussière soulevée par les immenses carrières qui défigurent toutes les collines qui nous entourent ? C'est hallucinant tous ces cailloux que les machines extraient sans cesse de la terre, à croire que les chinois ont décidé de terraformer le pays entier. Peut être pour construire ces autoroutes qui commencent à fleurir tout autour de nous.

Un vent de dos amical nous pousse doucement vers un fond de vallée vert et agricole, Berga essaie de me faire deviner les différentes cultures : maïs, tournesol, choux, haricots verts ... Je reconnais les épis familiers à tout bon landais, pour le reste je ne vois que du vert dans les sillons. Elle désespère, je lui explique que c'est sûrement dû à la fatigue, et au karaoké d'hier soir qui m'a tenu en haleine une grande partie de la soirée, allongé dans le lit à entendre deux mauvais chanteurs s'égosiller dans la salle de réception juste au dessous de notre chambre. Je n'arriverai sûrement pas à trouver une mauvaise excuse comme ça tous les jours, il va falloir que je progresse en verdure.

Samedi 20 juillet : 6h15 de vélo, pour 89km parcourus

Hier, on s'est arrêté avec plaisir dans un petit marché local le midi pour manger un bol de nouilles chinoises. Les petites vieilles du village nous avaient offert ail, poireau, et abricot pour agrémenter notre simple déjeuner, et on était sorti de l'endroit avec le sourire aux lèvres ... même si le fond de sauce du bol nous a fait gargouiller l'estomac quelques heures. Ce midi, on n'a pas vraiment envie de s'arrêter. On a pris de la poussière de charbon sur la tronche toute la matinée, régulièrement doublé par des camionnettes qui nous enfument au pétrole et aux particules noires, et maintenant une pluie de mousson s'abat sur nous, pour nous donner définitivement la teinte de vraies gueules de mineur. A chaque jour sa peine, aujourd'hui on a les mains trop sales, même pour tenir des baguettes.

On arrive à Lingqiu, petite ville de la province du Shanxi, coincée entre les montagnes. Partout dans la rue les gens nous scrutent de manière insistante. Je ne sais pas à quoi attribuer ça. Pas de passage d'occidentaux dans cette région ? Nos têtes noircies ? Une professeur d'anglais a le courage de nous aborder au supermarché, on a enfin une discussion qui va plus loin que les dix onomatopées qui composent notre ordinaire avec le commun du milliard de mortels chinois. Enfin, pas beaucoup plus loin, car le disque finit par tourner en boucle, et méchant en diable, je glisse à l'oreille de Berga "je comprends à son accent le niveau d'anglais des étudiants chinois".

Dimanche 21 juillet : 6h15 de vélo, pour 80km parcourus

Ce n'est pas un mystère de dire que la tête joue un rôle important dans ta capacité à atteindre ou dépasser tes limites, et aide à fixer le niveau de souffrance que tu es capable d'endurer sur un vélo. Les deux derniers kilomètres à 8% qui nous mènent en haut du col du jour (1682 mètres) sont au delà de ce que Berga pensait endurer aujourd'hui, et du coup tout le monde en prend pour son grade : les camions qui polluent, les tricycles qui font du bruit, les fabricants de vélo qui n'ont jamais testé leur matériel dans un col, le vent qui n'est pas dans la bonne direction, ou les oiseaux qui déjouent la loi de la gravité. Le soleil, lui, a eu la précaution de se cacher dans la brume, pour éviter de servir de punching ball. Quand à moi, je me tiens à une distance convenable, prêt à intervenir si demande (j'ai proposé de la tracter avec des tenders, j'ai reçu un grognement marmonné entre deux rangées de dents serrées en guise de réponse), mais pas assez près pour subir directement les foudres de ma blonde.

Sur la descente, tout est rentré dans l'ordre, ou presque. Face à nous, de l'autre côté des gorges, un monastère a été construit dans une paroi verticale de 300 mètres de haut. Vision assez surréaliste, un petit miracle de gravité, que de voir sortir de la roche des balcons couverts par ces toits caractéristiques, le tout au dessus d'un vide béant. Mais impossible de s'approcher du site, il y a eu des éboulements de rochers ces derniers jours qui le rendent peu sûr. Apprenant à connaître les chinois, je pense que le problème sera réglé dans quelques jours à coup de dynamite, et la montagne subira un lifting qui l'empêchera de s'épancher sur son fameux monastère suspendu.

Lundi 22 juillet : 5h15 de vélo, pour 75km parcourus

On arrive à Datong, ville moyenne d'un petit million d'habitants. Enfin arrivé est un mot vite dit. Cela fait maintenant 10 kilomètres que l'on tourne sur des avenues larges de 30 mètres, bordées de grues qui montent ici de nouveaux gratte-ciel résidentiels, là un stade de sport entièrement neuf et d'une capacité qui laisserait envieuses toutes nos villes françaises, plus loin un centre scientifique et culturel à la forme démesurée et futuriste.

"Ils sont fous ces chinois !" je répète à Berga en boucle depuis quelques jours. Ils ont d'abord la folie de la construction : tout ce qui a l'air d'avoir plus de 10 ans semble passé de mode et rasé, puis reconstruit en neuf, plus moderne, plus grand, plus haut. Toutes les villes de plus de 100000 habitants (soit un chef lieu de canton chez nous) voient de nouveaux quartiers surgir de la terre. Aucune exagération dans mes propos, on se demande d'ailleurs avec Berga d'où vont venir les personnes pour occuper tous ces nouveaux appartements et locaux commerciaux. Malgré la politique de l'enfant unique, y-a-t-il des dizaines de millions de petits chinois qui sont cachés et vont apparaître un beau jour à la surface de la terre pour grimper dans ces tours sans fin ? C'est en tout cas l'idée que me soumet Berga.

Et si ce n'est pas la bonne hypothèse, espérons que quelqu'un ait la solution de cette équation douteuse ... sinon il y aura une ardoise salée à régler.

Jéjé

Pris sur le vif

Déjà parcouru

     1186 km      17053 km
     168 km      232 km
     6342 m (6)


Où sommes nous ?


Date : 13/08/2014
Lieu : Saugnac et Cambran, France
Déplacement : Repos
Direction :

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