Et tournent les moulins de prières  Xiahe, Gansu, Chine

20/08/2013

Jeudi 15 août. 9h du matin. On est tout frais, rasé de près, et habillé de nos plus beaux tee-shirts, même s'ils sont défraîchis par quelques semaines de lavage à l'eau trouble du robinet. Pendant ce temps-là, à 10000km d'ici, les bodegas dacquoises dégorgent d'ultimes cubis de rosés pour encourager les valeureux combattants de la dernière heure à trouver le chemin du retour. A la manière d'un barman pressé, l'officier chinois nous tend nos passeports sans un sourire. Ils sont alourdis d'un nouveau visa, et nous permettent de rester 3 semaines et demi de plus en Chine, jusqu'au 6 septembre. 1 semaine s'est perdue en route (on aurait pu prétendre à une extension de visa d'un mois), sacrifiée sur l'autel de la bureaucratie chinoise. On remercie Madame l'officier, on salue le portrait de Mao, et on file à la chinoise, sur la pointe des pieds.

On avait envie de rejoindre le Gansu en vélo, le temps nous manquera désormais. Pour passer le plus de temps possible dans les provinces autonomes tibétaines, on décide donc de sauter dans le premier bus qui nous amène à Lanzhou. Le chauffeur du bus ouvre deux yeux ronds comme des culs de bouteille de Tsingtao en voyant nos vélos. On comprend vite que pour le convaincre d'embarquer nos engins en soute, notre bonne mine et nos fripes dépoussiérées ne suffiront pas. 11 heures, 600 km et quelques billets plus loin, le bus nous débarque sur une avenue illuminée de néons fadasses. Il est près de minuit, mais ce n'est pas assez pour amadouer les hôtels du coin de nous accueillir. Avec ou sans sourire, on se fait jeter fermement de tous les comptoirs avec un "Meïo" répétitif : interdit aux étrangers. Jusqu'à ce qu'un hôtelier qui se prélasse devant la porte de son établissement nous invite à le suivre. Mais à la manière évocatrice qu'il nous bride ses yeux, on comprend que pour dormir ce soir, le charme de notre accent du sud-ouest ne suffira pas.

Dans notre chambre où on se fait bouillir deux bols de nouilles chinoises en guise de dîner, vannés par cette longue journée, on se dit qu'être pressé a un prix. Et celui qui nous dérange le plus de payer aujourd'hui, est de ne pas avoir trouvé un commerce pour acheter une bière, notre récompense des "longues" journées. Pendant ce temps-là, certains émergent d'une nuit pas forcément réparatrice, sur l'herbe des berges de l'Adour ou sur un banc du parc des Arènes. Eux au moins n'auront pas long à parcourir pour trouver de quoi se désaltérer.

Vendredi 16 août : 7h15 de vélo, pour 89km parcourus

La carte routière avec laquelle on navigue date de 2008. Le temps pour les chinois d'avoir rebitumé X fois fois la route, l'avoir déviée autant de fois vers de nouvelles attractions touristiques ou un nouveau centre industriel, avoir construit deux autoroutes en parallèle, et avoir troué les montagnes avoisinantes de plus de tunnels qu'une taupe ne pourrait en faire dans toute sa vie. Autant nous dire que la carte nous sert autant qu'un tracé des Via Romana dans la Gaule du XXIè siècle.

Je fais donc confiance au bon sens chinois pour nous guider. Mais j'ai du mal à comprendre les indications que me donnent les locaux : là où j'ai d'habitude un signe de la main pour indiquer une direction, voir parfois une croix pour indiquer un croisement et la route à prendre, ils s'engagent tous dans de longs palabres. Je comprendrai plus tard que la carte n'indique pas forcément les noms d'usage des villes, entre le chinois, le tibétain voir l'arabe tout le monde s'y perd, surtout moi.

Vers 18h on met par chance les roues dans les rues de Yongjing, notre objectif du jour. Une perle d'architecture communiste. C'est à dire un alignement d'immeubles poussiéreux de 20 étages et de commerces carrelés en blanc. Avec de petits bonhommes de l'armée rouge en treillis qui pullulent dans les rues. Un futur musée à ne pas en douter.

Samedi 17 août : 7h45 de vélo, pour 84km parcourus

Il n'est pas encore 8 heures du matin et Berga m'a déjà maudit : on est debout sur les pédales, sur une route caillouteuse avec une pente de 12%. Alors quand le chauffeur d'une camionnette se glisse à notre hauteur pour engager la conversation, le pauvre homme en prend pour son grade par ma blonde. Moi je souffle du répit qu'il m'accorde, mais lui ne se décourage pas, et nous poursuit sur plus de deux bornes.

Voilà un résumé de ce qu'il nous a dit après réflexion (et en italique), et de ce que nous avons compris sur le moment :
- Au prochain croisement, après le pont, il faut prendre à gauche et ne pas suivre la route principale ... Il a l'air de dire qu'il y a des croisements partout, je croyais qu'on suivait qu'une seule route.
- Puis vous allez attaquer une longue montée, cela va être dur ... Et puis en plus apparemment la route est barrée, un éboulement sûrement.
- Vous voulez boire quelque chose ? ... Il a l'air d'avoir soif, il faudrait lui donner un peu d'eau, et nous on ne sait pas si on pourra se ravitailler dans ses montagnes.
- J'habite juste à côté, venez vous reposer et boire un verre chez moi avant de repartir ... Non, on ne passera pas par la route pourrie et crevassée que vous nous indiquez pour aller on ne sait où.
- Si vous voulez, je vous avance sur le col, on charge les vélos à l'arrière de ma camionnette ... Mais il veut nous emmener où en fait ? Ca pue tout ça.
- Tenez voilà deux bocaux d'anchois pour vous ... Beuuuuuurk dit Berga ! Miaaaaaam dit Jéjé !

On trouve sa mine finalement sympathique. On embarque donc nos vélos, et le conducteur nous fait gagner une dizaine de kilomètres, dont 5Km sur la montée du col suivante, une heure de pédalage vu la pente dit Berga qui a toutes nos moyennes horaires en tête. Un geste purement désintéressé par un vieil homme chinois qui tenait à nous aider. On s'en voudrait presque de ne pas lui avoir fait confiance d'entrée, mais aux grands sourires dont on le gratifie pour le remercier de son geste, tout le monde comprend la difficulté de communiquer sans parler la même langue, et que si c'est souvent en baissant la garde que l'on se prend des coups, c'est aussi le meilleur moyen d'apprécier la générosité des hommes.

Dimanche 18 août : 5h30 de vélo, pour 72km parcourus

Le berger et la bergère nous font trois signes successifs des mains : celui qui indique un abri ou une tente avec les deux mains à 45° jointes à leur bout, celui qui indique le sommeil avec deux mains parallèles sous une tête penchée, et celui qui indique le lieu en pointant le sol sous leurs pieds. "Oui !!!" on répond avec Berga, pour indiquer que l'on voudrait bien planter la tente ici pour y passer la nuit, si cela ne les dérange pas, à eux et à leur troupeau. Un rond avec l'index et le pouce, les trois autres doigts en épis au-dessus nous indique qu'ils n'y voient aucun problème.

Tant mieux, car on ne pouvait rêver meilleure place pour camper ce soir. Sur un champ d'herbe grasse, à quelques pas d'un ruisseau de montagne, sous un petit village tibétain calme et presque indifférent à notre présence, et avec comme toile de fond un magnifique monastère bouddhiste, niché au pied de la falaise qui nous fait face. Et surtout débarrassés des abeilles qui nous ont poursuivi une bonne partie de la journée. D'ailleurs après réflexion, les abeilles devaient être musulmanes, car dès que la dernière mosquée a disparu dans le creux de la vallée pour laisser place aux drapeaux de prières bouddhistes, elles ont dare dare fait demi-tour en nous laissant la piste libre.

Lundi 19 août : 3h45 de vélo, pour 35km parcourus tout en montée

9,5 km/h de moyenne, la Chine se colle à nos pneus pour freiner notre grimpette sur les premiers plateaux tibétains. Une pause, un snicker et ça repart dirait Franckie. Mets le grand plateau et ça avancera tout seul dirait le cous' Alex. Serre les dents et ça passera dirait la blonde d'Alex. Rigole et pète un coup et tu seras plus léger dirait Nico. Accroche toi à moi et tout se passera bien dirait Lolo. Perds 10 kilos et t'avanceras plus vite dirait Frédo. 2920 mètres d'altitude, terminus tout le monde descend du vélo, cela prend du temps car on était nombreux sur la selle pendant cette montée.

Mardi 20 août

Et pendant ce temps-là, les moulins de prière tournent. Xiahe abrite le plus grand monastère bouddhiste hors Tibet, Labrang. Au point du jour les moulins fonctionnent à plein régime, qu'ils soient portatifs, tenus par de petits vieux chapeautés et endimanchés dans leur plus belle dell, ou installés sur de grands axes verticaux sous des abris boisés contre les murs du monastère. Comme tous les jours, des milliers de fidèles font le tour de ce monastère, 3 kilomètres au moins, en tournant les moulins de prière, égrenant leurs chapelets, récitant des incantations, méditant sur la meilleure manière d'apprécier les moments qui composent leur vie d'ici-bas, et portant l'espoir d'une réincarnation dans une vie heureuse. Et les pélerins les plus assidus, qui ont parcouru parfois des milliers de kilomètres pour venir ici, font le tour en enchaînant génuflexions et prosternations tous les demi-mètres jusqu'à épuisement.

Drôle de monde, qui construit avec patience et résignation sa vie d'après autour du monastère, pendant que les chinois jouent du buldozer pour transformer les vieux sentiers crevassés du chemin de pélerinage en allées rutilantes et bordées de magasins, et faire en quelques mois du lieu un futur lunapark du touriste bouddhiste.

Suoba est un des 1400 moines de Labrang, et depuis 10 ans suit l'enseignement bouddhiste. Lorsqu'il n'est pas en "classe", dans un atelier d'écriture, ou en méditation, il sort son iPad pour écouter les leçons d'anglais pré-enregistrées, regarder les nouvelles d'une chaine de TV anglophone, ou lire les actualités de la BBC. Et quoi de mieux pour pratiquer que d'intercepter deux "foreigners" qui déambulent dans les allées du monastère et tentent de s'imprégner de l'atmosphère du lieu. Et très vite, la blonde, le chauve et le moine se trouvent un point commun : celui d'être la visée incessante des objectifs photographiques chinois. Comme le dit Suoba, on n'est pas des singes dans un zoo, nom de bouddha !

Jéjé

Pris sur le vif

Déjà parcouru

     1186 km      17053 km
     168 km      232 km
     6342 m (6)


Où sommes nous ?


Date : 13/08/2014
Lieu : Saugnac et Cambran, France
Déplacement : Repos
Direction :

Sur la carte ...

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