Steppes by Steppes Langmusi, Gansu, Chine

25/08/2013

Mercredi 21 août : 7h15 de vélo, pour 80km parcourus

Après deux jours de repos, c'est reparti pour 3 étapes de vélo en direction de notre prochaine étape touristique. On attaque un faux plat montant qui traverse les premiers plateaux tibétains : de grandes prairies vertes avec troupeaux de yaks, chèvres et brebis, des petits ruisseaux ou et des étendues d'eau. Les apiculteurs vivent en bord de route sur la saison estivale, on en profite pour acheter un demi litre de miel, histoire de se rassurer sur l'utilité des abeilles, autre que pour leur harcèlement sur nos vélos ! Le décor est magnifique mais dès 9h du matin le soleil nous brûle la peau, heureusement la route est relativement plate et on avance à un bon rythme sur une ligne droite de 9 km. Et puis ça commence à monter, prête mentalement à atteindre près de 3500m d'altitude, je décide de m'isoler égoïstement avec mon mp3. J'écoute des livres audio (une superbe idée de ma Sandra <3 ), c'est le meilleur moyen que j'ai trouvé pour me mettre dans ma bulle et éviter de râler sur Jéjé quand on fait beaucoup de dénivelé. Du coup, je grimpe tranquilou en écoutant mon polard, j'accepte même les 5 km de piste et de poussière avant le premier col passé à 3586m !

De l'autre côté, c'est moins joyeux car on va devoir suivre près de 30km de piste, assez roulante au début, plus sablonneuse à la fin et parsemée de camions qui assurent sa construction. Vu que ça descend pas mal, il faut éviter les chocs pour protéger les vélos en restant semi debout sur les pédales, et je commence à avoir mal aux des genoux. Même si le coin est peu peuplé, de nombreux travailleurs habitent temporairement en bord de route et nous saluent régulièrement, nous encouragent ou sourient simplement. 53km plus loin, on rejoint la G213, le moral n'est pas terrible, je sais qu'on va devoir planter la tente quelque part mais je suis partagée entre arrêter tout de suite (15h, plein cagnard, pas d'ombre) ou prendre un peu d'avance pour alléger la journée suivante (86km prévus avec déniv) ... Après un coaching tendre et passionné du Jéjé, je décide de repartir pour une vingtaine de kilos ;o)

Les chiens sont en train de virer au loup, les yaks se secouent le pelage pour se faire une belle couverture, les marmottes soignent une dernière fois la prairie pour y retrouver le lendemain une herbe grasse et tendre, avant de sauter dans leur trou : il est temps de planter notre tente pour le soir. Les verts pâturages à perte de vue, les grises montagnes qui les surveillent, les ruisseaux dorés qui y coulent avec lenteur et bienveillance, sont autant d'invitation à dresser nos piquets et notre toile sur la steppe tibétaine.

Mais notre sommeil n'a pas de prix, et les surprises de la nuit sont rarement plaisantes : la voisinage de l'emplacement vaut au moins autant que son confort. Deux choix pour ce faire : le plus sûr est de demander aux nomades qui ne manqueront pas de remarquer notre tente orange sur une plaine ouverte quel est le meilleur emplacement pour bivouaquer. Ce qui se traduit le plus souvent par une invitation à s'installer au plus près des autres habitations ou yourtes. L'avantage est qu'on se met sous la "protection" d'une famille ou d'un village. Le désavantage, est qu'il faudra se soumettre à la curiosité de la famille ou du village entier pendant toute la soirée.

Le second choix est d'attendre la lente descente du soleil et la semi-pénombre, et en toute discrétion poser la tente dans un endroit à priori caché de la vue des locaux. Ce que nous trouvons ce soir, sous la forme d'une bergerie d'hiver cachée dans le creux d'un vallon. De son oeil lumineux et compréhensif, l'étoile des troupeaux et de leur berger nous regarde installer notre campement, et nous fait la promesse qu'à notre réveil, elle sera partie depuis longtemps pour d'autres cieux.

Jeudi 22 août : 4h45 de vélo, pour 54km parcourus

V'là un nouveau cyclotouriste chinois, p't-être ben le vingtième que l'on rencontre depuis notre départ de Pékin. Il a une bonne bougne, et se sent confiant dans son anglais pour nous arrêter d'un geste alors que nous sommes lancés à 48 km/h dans une descente de col. Les mains se crispent sur les cocottes, les patins couinent sur la jante, et nous remontons la pente une centaine de mètres sur le petit plateau.

Il ne trouve pas ses mots facilement, mais il compense par une grande envie de parler, qui se lit dans ses yeux brillants. Il va pouvoir briser sa solitude, et partager avec d'autres son voyage. Et de toute sa démonstration sympathique, je retiens une chose : le jeune homme collectionne les tampons de la poste, comme autant de preuves de son passage à vélo dans certaines villes de son parcours. Bizzare passe-temps, qui me rappelle à une conversation que l'on avait eu avec ma douce quelques mois avant notre départ.

On se posait la question suivante : doit-on donner une signification à notre voyage ? Si oui, de quelle manière ? S'associer à une oeuvre caritative en récoltant des fonds ou du matériel pour une cause ? Donner une tournure humanitaire à notre périple, en s'arrêtant et proposant notre aide là où elle pourrait s'avérer utile ? Suivre un parcours historique, comme certains par exemple retracent la route de la Soie ? Concourir pour que le projet fasse partie d'une émission télévisée ou radiophonique, et que certains moments soient diffusés ? Avoir une idée originale et marrante qui mettrait du piment dans le voyage ?

Ne donnons pas une fausse raison à cette aventure, qui ne nous correspondrait pas. Nous sommes des enfants du voyage. Notre but est l'horizon, et à nos yeux rien n'est plus beau et captivant que cette quête. Notre seule concession : le partage et la mémoire, pour laquelle ces lignes sont écrites.

Et pour en finir avec les choses utiles : notre ami cyclo chinois nous a donné un bâton, afin d'éloigner d'éventuels chiens errants. Bien plus efficace qu'un coup de tampon postal.

Vendredi 23 août : 4h35 de vélo, pour 61km parcourus

Courte nuit dans une pension d'un village des hauts plateaux, battu par les vents et la poussière. Au petit matin, traversée des grandes plaines, sur une route qui est régulièrement envahie par les chevaux, chiens, yaks, moutons et chèvres. On arrive à Langmusi alors que le soleil touche son zénith. Ce village a la même configuration que Xiahe : un quartier neuf chinois qui se construit, des échoppes musulmanes autour de la nourriture, puis un quartier tibétain, datant de Mathusalem. On se rend compte plus tard que ces trois populations ont parfois des difficultés de cohabitation ....

Il y a d'abord le caractère indépendantiste et virulent des tibétains, qui malgré leur implication dans la gestion de la région autonome, exprime un rejet de l'envahisseur chinois en mettant en avant leur droit du sol et la pérennité de leur culture. Il y a ensuite les pratiques commerciales et parfois abusives des chinois musulmans, qui s'installent là pour avoir une part du gâteau touristique, en passant outre les coutumes locales. Et puis il y a la présence des chinois (non musulmans), très impliqués via le développement des infrastructures (école, hôpital, routes, caserne de pompiers ...), qui arbitrent en dernier ressort les conflits à travers le pouvoir national (administration, police, armée ...). Le problème tibétain est bien complexe : il soulève entre autres des questions de respect des différences de culture, d'accès à des infrastructures de première nécessité, et d'assimilation et d'intégration dans la société chinoise.

Samedi 24 août

Aujourd'hui j'ai pris un coup de trique. En me balladant en short dans le monastère bouddhiste du petit village tibétain de Langmusi. Par un sourire amusé j'avais superbement ignoré les mimiques des moines qui me disaient que j'allais attraper un beau coup de froid à me trimballer aussi court vêtu, conseil à prendre avec des pincettes par des mecs qui sont emmitouflés dans une robe pourpre épaisse sous un soleil qui castagne. Mais au bout du troisième temple, un des religieux gradés m'a attrapé par le short. Sur le coup, je n'ai pas compris son geste, il me montrait mon short, plutôt ma main qui était dans la poche de mon short. Sont-ils tellement à la dèche qu'il veut de la monnaie ? Ai-je oublié de tenir à la main le chapelet du fidèle pour rentrer dans le temple ? Une touriste chinoise m'a montré mes poils de jambe, et j'ai finalement compris qu'ils offensaient le propriétaire du lieu. Pas facile de descendre de l'homme de Cro-Magnon quand on se ballade chez les bonzes.

De part mon caractère "wait and see", j'ai plutôt tendance à ne pas oser faire les choses plutôt que de me retrouver dans une situation embarrassante. Dans cet exemple, je n'ai hésité pas à accueillir le Jéjé à la sortie du temple pour lui mettre une couche sur le respect et le comportement à avoir quand on ne maîtrise pas les us et coutumes d'un lieu sacré ! Mais mon attitude me vaut aussi parfois trop d'attente, d'hésitation, et cela m'empêche de profiter pleinement des choses qui s'offrent à nous. Donc au final à nous deux tout cela s'équilibre : du respect et de l'audace, de l'observation et de l'action !

Dimanche 25 août

Les bad boys de Langmusi sont parmi nous. Mais qui sont-ils ? Les motards tibétains entièrement masqués par des écharpes qui dévalent la rue principale à fond de cale ? Les restaurateurs musulmans qui à chaque fois nous gonflent l'ardoise du repas de quelques yuans ? Les touristes chinois qui nous écrasent les pieds avec leur berline pour nous tirer le portrait au plus près ? Les ouvriers du bâtiment abreuvés de bière qui jouent leur solde de la journée aux jeux de cartes ? Le conducteur du tracto-pelle qui remonte la rivière avec son engin et fait trembler toutes les habitations alentours ? Les chiens de berger profil pyrénéen qui se battent contre leur chaîne dans l'espoir de goûter nos mollets ?

Que nenni. Age : de 6 à 15 ans. Tête : rasée. Habit : robe traditionnelle du moine bouddhiste. Activité officielle : suivre des cours au monastère d'éducation et de religion.
Activités parallèles :
- jouer à Tarzan en se suspendant aux fils électriques
- faire du tobogan le cul à terre dans les chemins forestiers
- sauter à pied joint dans la première flaque venue
- jeter des cailloux partout où ça peut avoir un intérêt (ruisseau, route, animaux, outils de chantier ...)
- faire du deal de tout ce qui peut s'échanger
- prendre assez de pignes pour fièrement arborer un pansement sur sa trogne juvénile.
Nous qui prenions la religion bouddhiste pour quelque chose d'emmerdant et de contraignant pour les moines et les fidèles (au moins pour la pratique), nous voilà rassurés pour la relève, ses futurs porte parole sont à la hauteur de tous les enfants du monde, prêts à faire les 400 coups pour s'amuser et épater la galerie.

Berga & Jéjé

Pris sur le vif

Déjà parcouru

     1186 km      17053 km
     168 km      232 km
     6342 m (6)


Où sommes nous ?


Date : 13/08/2014
Lieu : Saugnac et Cambran, France
Déplacement : Repos
Direction :

Sur la carte ...

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