Petit manuel d'une expédition au Népal Jagat, Népal

08/11/2013

Ou comment tu décides de partir à 4 pour une expédition en Himalaya, et tu te retrouves un beau soir à 11 autour d'un feu de montagne, à partager un verre de rakshi (alcool local, à base de millet), alors que tu avais fait le serment de passer 3 semaines sans toucher une goutte ...

Faire une randonnée sur des chemins balisés du Népal (région des Annapurnas, de l'Everest, du Langtang) reste une chose relativement facile à organiser en autonomie, au vu du correct équipement de ces régions en auberges et autres facilités. Par contre, organiser l'ascension d'un sommet de plus de 6000 mètres au Népal nécessite des compétences particulières ... et donc l'aide indispensable des locaux.

Deux bonnes raisons à cela. D'abord car il n'y a pas ou peu de hauts sommets facilement accessibles en Himalaya. A moins d'avoir un porte monnaie insondable et d'être un adepte des vols en hélicoptère dans le brouillard, la marche est le seul moyen pour accéder à un camp de base. Et il faut compter en moyenne une semaine (acclimatation incluse) pour installer sa tente au pied de la montagne à gravir. En comptant le retour, cela fait déjà 10 jours de "mangés" sur un programme. Maintenant quand on sait que le matériel personnel d'un alpiniste avoisine les 20 kilos, qu'il faut ajouter à cela environ 1 kg par jour et par personne de nourriture et de matériel de cuisine, on arriverait à une charge de 50 kg par personne pour une expédition d'une durée moyenne d'un mois. Autant dire que tout occidental bien constitué n'a pas la combinaison capacité-résistance-motivation pour porter une telle charge en montagne. C'est un métier, pour lequel certains népalais, mules et autres yaks, sont passés maîtres.

Ensuite parce qu'utiliser les locaux pour leurs talents de guide, cuisinier ou porteurs, c'est contribuer à l'économie du pays. On parlera de chiffres et de coûts plus tard, mais il est toujours intéressant de savoir qu'en trois ou quatre expéditions auxquelles il participe, un porteur assurera la subsistance de sa famille durant toute l'année civile (en plus de son métier de base, fermier/éleveur le plus souvent). Qu'en outre, ces personnes sont souvent un lien essentiel entre vous et la population, les plus à même de transmettre vos souhaits mais aussi de vous expliquer les us et coutumes locaux. Explications sans lesquelles on passerait son expédition dans une bulle de haute altitude, loin des préoccupations des gens qui habitent ces lieux depuis des siècles.

Une fois que tu as réuni ta bande de potes blancs comme des cachets d'aspirine, un peu fêlés, et surtout prêts à t'accompagner jusqu'au ciel (pas de second degré là-dedans), ou tout du moins jusqu'à un sommet qui le tutoie, il faut te lancer dans la recherche d'une agence népalaise qui te fournira l'assistance nécessaire, au moins jusqu'au camp de base. Je ne parle pas de l'intermédiaire d'un tour-opérateur français, qui ne fait que poser son label qualité sur l'expédition et prend une (large) commission au passage, pour finir par déléguer l'organisation sur place à la sus-dite agence népalaise ... Autant donc contacter l'agence sur place, le choix est large (plus de 1500 agences de trekking/expédition en 2013 au Népal), mais heureusement les retours nombreux sur internet permettent de se faire une première idée et de sélectionner des compagnies à peu près fiables.

Le rôle de l'agence locale est multiple :
- Elle organise les transports locaux (avion, bus, etc...)
- Elle s'occupe du fret
- Elle recrute une équipe Népalaise pour l'approche et jusqu'au camp de base, qu'elle équipera et assurera pour cela
- Elle fournit la nourriture et éventuellement le matériel de camping jusqu'au camp de base
- Elle s'occupe des permis de trek pour les zones protégées et des autorisations nécessaires pour réaliser l'ascension des sommets
- Elle peut prendre en charge le client dès la descente de l'avion
- En fonction de son influence, elle peut aussi faciliter le rapatriement en hélicoptère en cas de problème en montagne

Maintenant voilà la composition d'une équipe type fournie par l'agence pour appuyer l'organisation d'une expédition : un guide (ou sirdar), qui est un super intendant de l'expédition durant la phase de trekking et jusqu'au camp de base ; il gère la logistique, les transports, l'hébergement, la nourriture, l'organisation des tâches dans l'équipe, il supplée au besoin, et souvent dévoile sa valeur dans les moments compliqués. C'est le chef de l'équipe népalaise, et le point de contact principal de l'équipe des alpinistes. Un cuisinier, qui a la charge de faire la nourriture pour toute l'équipe, népalais (facile, c'est dal bhaat à tous les menus) et occidentaux (là, les exigences sont plus variées, vous pouvez me faire des momos et des spring rolls à 5000m d'altitude s'il vous plait ?). Des porteurs, qui ont principale tâche de convoyer les charges (entre 25 et 35 kg) entre les différents camps. Le nombre de porteurs varie suivant la longueur et l'isolement de l'expédition. On peut aller de 1 jusqu'à 4 porteurs par alpiniste, en terrain engagé et lointain. Certains porteurs peuvent avoir d'autres casquettes dans l'équipe, comme celle de second du cuisinier, appelé aussi kitchen boy - délégué à la fonte de la neige pour faire de l'eau, ou au lavage de la vaisselle. Ou encore être des porteurs de haute altitude, en participant à des portages au dessus du camp de base, pour lesquels force et expérience demandées sont plus importantes. Et enfin, suivant les besoins de l'équipe d'alpinistes, il est possible d'inclure le renfort d'un guide de haute montagne (ou climbing guide), qui va prendre en charge ses clients au dessus du camp de base, en faisant la trace, posant des cordes fixes, aidant au montage des camps d'altitude, assurant la sécurité de l'équipe ...

Et pour finir, une petite idée des coûts (si tu avais à payer directement toutes les personnes, car normalement c'est l'agence qui s'en occupe) : un snickers coûte 50 centimes d'euros à Kathmandou, le triple dans une auberge d'altitude, un repas arrosé dans un bon resto de la capitale coûte 6 euros environ, c'est le prix journalier d'un porteur en trekking, un cuisinier demandant le double, un sirdar le quadruple, le guide de haute montagne 300 euros pour une ascension d'un sommet de 6000 mètres, nourrir une personne avec des produits locaux coûte de 3 à 5 euros par jour, un billet pour 200km et 6h de bus environ 6 euros, le triple si tu souhaites voyager en jeep "privée", assurer un porteur pour une expédition 12 euros (demande à ton assurance si tu es bien couvert pour ce genre de "vacances" ...), l'accès à une zone protégée pour un randonneur 10 US$ environ par jour (50 US$ par jour pour la région népalaise du Mustang ...), un permis d'ascension de 300 à 1000 US$ (pour un sommet entre 6000m et 7000m, le permis de l'Everest s'élève lui à 70000 US$ ...).

Et oui, la philanthropie a tout de même un prix. Et à avoir parcouru un grand nombre de montagnes dans le monde, je peux dire que le Népal porte un paradoxe, qui n'en est peut-être pas un en fait : avoir les plus belles, et aussi les plus chères, montagnes du monde.

Nous voilà donc désormais en route pour le Manaslu et le Larkya Peak (sommet de 6000 mètres), accompagnés de Stéphanie et Alexandre fraichement débarqués de France, mais déjà habitués à mes odeurs de chaussettes car on a partagé des espaces clos en haute altitude, en Asie Centrale ou en Amérique du Sud. Le reste de l'équipe : Suman, guide de haute montagne et aussi responsable de l'agence Ethic Himalaya, francopone, Sameer son assistant et qui fait office de sirdar, Sudip le cuisinier, et une équipe de 4 porteurs. Et avec les assurances des uns et des autres de restreindre sa consommation éthylique. J'adore les promesses de montagne.

Jéjé

Pris sur le vif

Déjà parcouru

     1186 km      17053 km
     168 km      232 km
     6342 m (6)


Où sommes nous ?


Date : 13/08/2014
Lieu : Saugnac et Cambran, France
Déplacement : Repos
Direction :

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