Quoi de neuf au pays des Khmers ? Sihanoukville, Cambodge

J'avais averti Berga, que les rumeurs de voyageurs disaient que le passage de frontière vers le Cambodge était olé olé, un peu à la manière des frontières de certains pays africains, où tu ne sais pas qui va t'emmerder le plus, le mec qui veut absolument te faire monter sur sa moto pourrie pour te faire découvrir le pays et tombe en panne d'essence 500 mètres après, "T'as un billet de 100 pour que j'achète de l'essence ?", la bonne femme qui t'explique qu'il faut absolument que tu changes ton argent ici, "Il n'y a pas de banque à moins de 50 km, de toute façon les banquiers sont des voleurs", "Tu ne trouveras pas mieux que le taux que je te propose", ou le douanier qui t'explique que malgré le coût affiché du visa à 20 dollars US sur le mur derrière son dos, il faut que tu en débourses 30, "C'est comme ça ..." qu'il te dit sans autre explication.
Donc soyons zen. Le Cambodge, c'est l'un des pays les plus pauvres au monde. Et les plus corrompus aussi. Ils ont bien d'autres problèmes à traiter que nos velléités de voyageurs formalistes. Les douaniers ont tous des chevalières serties de diamants, de gros colliers en argent autour du cou, ils nous ont bien fait raquer 30 dollars US pour les 20 affichés. La dame avec ses billets pour le change a finalement abandonné sa traque au bout de quelques mètres, sentant que le potentiel d'autres touristes égarés était plus important que le nôtre, le moto-taxi a compris qu'il n'arriverait pas à charger le passager + son vélo sur son deux-roues. Nous voilà enfin au Cambodge, le pays du pyjama. Car la dernière mode ici est de se trimballer en pyjama, à toutes heures du jour. Un joli pyjama deux pièces, en coton ou en éponge, avec des motifs fleuris ou léopard. Peut-être un héritage du passé colonial français. Avec l'adaptation locale : les tongs à la place des charentaises.
On est content de pédaler ici, car on sent que les gens sont contents de nous voir. Les gamins bien sûr, qui nous hurlent "Hello ! What is your name ?", même si Berga aimerait bien qu'ils se regroupent tous par village, un seul "Hello" histoire qu'on ait pas 100 fois à répondre à chaque traversée, mais bon, les mamies qui nous vendent des petites bouteilles d'eau conservées de la chaleur dans une glacière alimentée chaque matin avec des blocs de glace, les nombreux gars à vélo qui se sentent obligés de nous doubler pour nous montrer qu'on la leur fait pas, à eux, le vélo, ça connait ici. Berga aussi est heureuse, assez pour se lâcher avec un cambodgien qui nous accoste : "On va faire pote-pote ?". Et là je crains l'incident diplomatique et le retour dare-dare avec les gyrophares à la frontière : j'explique à ma blonde qu'il y a un type appelé Pol Pot qui rôdait dans le pays il y a 30 ans, qu'il a obligé toute la population du Cambodge à migrer vers les campagnes pour travailler la terre, malades et infirmes compris, que tous ceux qui avaient des lunettes ou parlaient une langue étrangère avaient le droit à une autre sorte de balade, direct la fosse communale, que la balade forcée a laissé sur le carreau 20% de la population, soit près de 2 millions de personnes mortes en 3 ans, et que même si ce sale type a fini par être cramé sur un tas de pneu il y a 15 ans, il y en a sûrement ici qui ont un souvenir cuisant de son passage. Donc pas de "pote-pote" chez les Cambodgiens, on trouvera d'autres moyens pour leur exprimer notre sympathie.
32°C, un soleil castagneur qui essaie de nous mettre KO sur le vélo, des vaches blanches, osseuses et déglinguées qui ont apparemment une priorité évidente de déplacement sur le reste de la population locale, route ou pas route, la poussière qui monte de la piste à chaque passage de camion, les tapis sur la chaussée où sont accumulées des tonnes de riz, remué au heures les moins chaudes de la journée par des armées de femmes et de rateaux ... et au bout de la longue ligne droite, plate comme une crêpe beurrée, les odeurs de crabes qui sèchent et de poissons qui pourrissent, les cocotiers, une ligne de sable blanc, la mer.