La buena onda Villarrica, Chili

25/01/2014

Route entre Icalma et Melipueco. 30km de distance de la frontière argentino-chilienne. Grand soleil. Deux volcans andins enneigés, le Villarrica et le Llama, sont à l'arrêt. Pas un rond fumée ne sort de leur cône. Pas un nuage non plus à l'horizon. Un bleu imberbe, figé. Au bord de la route, deux jeunes attendent avec leur sac à dos. Aucun pouce levé. Ils attendent l'inspiration. La bonne vibration.
Ils nous sourient, le temps s'arrête, nous aussi. La fille semble débarquer d'un concert de Woodstock, vêtue d'un mini short en jean, d'un haut transparent à pression qui explose sous ses formes rondelettes, avec des cheveux roux qui détonnent dans le ciel azul. Le garçon, en retrait, est un longiligne gaillard d'un mètre 85, brun et la peau hâlée, avec cette tignasse noire si typique des habitants du pays. Ils cherchent un chemin au Nord qui mènerait en direction du lac Conguillo.
Je regarde notre carte, ils sont trop à l'Est, pas de passage par ici, la montagne et ses falaises bouchent l'accès au lac. Ils doivent retourner sur leur route pour récupèrer la piste la plus directe. La jeune fille sort de sa poche un petit contenant en plastique et des tranches de "jamon casero", du jambon chiffonnade maison. Son jambon est aussi bon que le sourire qu'elle me fait, elle est d'ailleurs persuadée que je vais décoller de plaisir en le dégustant, je dois m'accrocher au guidon de mon vélo pour rester à terre et ne pas m'envoler dans le ciel chilien.
Ce que je comprendrai un peu plus tard, c'est qu'ils se foutent de notre carte, ils se foutent en fait de trouver la route la plus directe. Ils l'évitent même. Leur objectif est ailleurs. La route d'abord, avec l'aventure qu'elle procure pour ceux qui ont laissé la carte et la boussole à la maison. Et puis la recherche d'éléments aussi fugaces que le vent, aussi légers que l'air, aussi piquants que le soleil, seulement perceptibles par ceux qui se donnent le temps de les saisir. Comme le disent les gens du pays, ils sont à l'écoute de la "buena onda".
Pragmatiquement, la buena onda peut revêtir différents aspects : c'est l'écoute d'une musique rythmée de boliche qui enflamme le tympan, le toucher du tronc d'un vieil arbre lissé par le temps, l'odeur parfumée de la forêt d'Araucanias qui se réchauffe après une averse d'été, l'explosion de saveurs après le craquement moelleux de l'empenada dans la bouche, et au sommet d'un col la vision d'un paysage aux forêts émeraudes et aux volcans cristallins ; c'est le sentiment d'être en accord avec la nature qui nous entoure, de faire partie d'elle, minuscule atome d'un grand tout, dans lequel on trouve sa place avec respect ; c'est la rencontre avec une personne, devant laquelle les barrières s'effaceront, avec qui on aura les bonnes vibrations et on se sentira alors en osmose l'espace d'un moment ou d'une nuit de discussion autour d'un maté, la boisson nationale des habitants des terres australes ; c'est la sensation du moment parfait, cet instant magique, conjonction de tous les éléments et les paramètres qui fait que l'on se sent au bon moment au bon endroit.
Alors le temps ne s'écoulera plus, la distance ne se mesurera plus, seul compteront les battements de son coeur et la perception des choses qui nous entourent.
Voilà ce que cherchent ces deux jeunes sur le bord de la route. On les dirait paumés, changeant de direction tous les 1/4 d'heure, ils sont en fait en train de humer l'air qui file, de regarder les branches des arbres plier sous le vent, d'observer les gens qui passent. On les dirait autant équipés pour l'aventure que deux poulpes partis en scaphandre traverser le Sahara de la mer Méditerranée au golfe de Guinée, ils ont juste ce dont ils ont besoin : un tapis de sol, une casserole et une gazinière de 8 kilos. On les dirait naïfs, démunis face aux rudesses des hommes, friables face aux incessantes tempêtes de poussière, ils sont en fait ouverts à la vie, à la diversité de ses rencontres, ils laissent filer les mauvaises ondes et désarment les réticents par leur enthousiasme primaire. On se dira qu'on a été con de ne pas être anarchiste à 16 ans, babacool à 20 ans, rebelle toute sa vie, il suffit qu'un jour nous aussi on se retrouve sur le bord de la route, en compagnie de Jack Kerouac ou Henry Miller, pouce dans la poche, à humer l'air qui passe. Et alors sûrement qu'elle s'arrêtera, nous sourira, et nous embarquera dans sa calèche de rêves inassouvis. La buena onda.

Jéjé

Pris sur le vif

Déjà parcouru

     1186 km      17053 km
     168 km      232 km
     6342 m (6)


Où sommes nous ?


Date : 13/08/2014
Lieu : Saugnac et Cambran, France
Déplacement : Repos
Direction :

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