5 mars : Villa O'Higgins
La particularité de Villa O'Higgins, c'est un passage de frontière accessible uniquement à pied ou à vélo ; impossible de traverser à moto, 4x4 ou quad !!! Pour le moment, j'ai un peu de mal à m'imaginer ces derniers 22 km à parcourir, et puis il faut d'abord réparer ma roue arrière.
En faisant nos courses pour le petit déjeuner, on dégote miraculeusement le dernier pneu de 26 pouces disponible dans la ville, youhouuuu ! Après les évènements de la veille, ça nous met du baume au coeur et je me dis que si près du but, ce serait trop bête de ne pas finir sur deux roues cette sacrée aventure australe ...
Une fois les réparations faites, on décide d'explorer cette ville du bout du monde, d'abord en visitant l'éco camping qui regroupe de nombreux cyclos, certains rencontrés il y a plusieurs semaines, d'autres il y a seulement quelques jours. C'est comme une grande famille, on se retrouve et on se quitte sur des centaines de kilomètres, et à chaque fois cela me fait plaisir de revoir les visages ou d'en découvrir de nouveaux. Puis, à la bibliothèque on croise enfin le couple de français en tandem Adeline et Marc, dont on suit l'avancement depuis un bon moment avec les brides d'information données par les cyclos que l'on croise et qui viennent du sud. On partage une partie de l'après midi à échanger sur nos voyages, à analyser sur les difficultés de la Carretera, ils ont notamment passé quelques 500 km à pousser leur tandem sur du mauvais ripio, c'est dur à imaginer !
Enfin, on passe à l'agence pour acheter nos tickets pour la traversée del Lago O'Higgins en bateau ; seulement deux départs par semaine, ça tombe bien le prochain est prévu pour demain !
En fin de journée, j'assimile peu à peu le parcours qui nous attend les deux prochains jours : 3h de bateau sur le Lago O'Higgins, 22km à vélo ou pousse-vélo, 45mn de bateau sur le Lago del Desertio et 37km de vélo sur ripio. Selon les récits ou les témoignages des voyageurs, c'est la partie la plus délicate et atypique de la Carretera, ce qui en fait un mythe ! Tout ça dépend de plein de critères : poids des saccoches, volume du vélo, force du cyclo ... bref, on verra bien une fois sur place !

6 mars : Villa O'Higgins à Lago del Desierto (Nord), 29 km dont une bonne partie à pousser
C'est parti pour LA journée challenge Carretera ! Dès 7h15, on grimpe sur nos vélos pour se joindre au peloton (environ une quinzaine de vélos), qui pédale à vive allure sous une pluie diluvienne et nous conduit jusqu'au port d'embarquement. Une fois les sachoches stockées au fond des cales et les vélos bien fixés sur le pont du bateau, chacun prend place au chaud (5 randonneurs, 1 tandem et 15 cyclos) et l'ambiance se détend au fur et à mesure que le soleil fait surface. C'est un peu comme dans les sas de départ d'un marathon, on attend que ça commence tout en profitant de ce moment de répit, on trépigne d'impatience sans savoir si on va tenir jusqu'au bout !
En débarquant, le vent fouette sévèrement nos visages malgré le soleil de midi. Comme nous, une partie du groupe souhaite prendre le bateau du Lago del Desertio de 18h, les autres celui de 11h le lendemain matin. Une fois le poste de frontière chilien passé, j'attaque pleine d'énergie la première partie : 6km de mauvais ripio, assez raide avec gros vent de face. C'est rude mais je reste zen, je décide de mettre les objets lourds dans mon sac à dos et de pousser le vélo pour pas m'épuiser trop d'entrée. La seconde partie est agréable, 10km de chemin forestier roulant, le ronron des tronçoneuses au loin, la traversée improbable d'un aérodrome et une première vue sur le sommet Fitz Roy. Et puis on se retrouve devant un panneau "Bienvenido en Argentina" et là, le chemin forestier s'arrête net. On devine un sentier de randonnée entre deux buissons et on s'approche timidement sur nos vélos. Au bout d'un kilomètre, je regarde Jérôme un peu inquiète et lui demande : "On va rouler longtemps comme ça ? " et il me répond sans sourciller : "Environ 6 km, mais globalement ça descend !".
Arrrgh, c'est comme un raid VTT sauf qu'on est chargé comme des mules et qu'il faut pousser les vélos au milieu des racines, des pierres, traverser des ruisseaux, être parfois à deux pour monter les vélos dans la pente !!! Fidèle à moi même, je commence à pester contre la terre entière, et puis je pense à Adeline, Marc et leur tandem. Alors je relativise, c'est pas si difficile que ça une fois que je prends le coup de main pour pousser le vélo, tout est question de patience et d'énergie. On arrive dans les temps au Lago del Desierto, on tamponne nos passeports à la douane argentine, et on attend, les yeux rivés vers le sud du lac. Mais le bateau de 18h n'arrivera pas, visiblement trop de vent pour communiquer avec l'autre côté de la rive. On installe donc notre campement sur les berges herbeuses du lac, un joli coin si les nuages se décidaient à s'en aller.

7 mars : Lago del Desierto à El Chalten, 38 km
Plein de remords et de compassion, on décide de venir en aide aux français en tandem. Aux dernières nouvelles, ils se sont arrêtés 6km plus haut pour y passer la nuit. Pendant que je plie le camp et prépare le déjeuner, Jéjé les rejoint à pas de course, pour leur donner un coup de main en descendant deux sacoches. Dans la matinée d'autres cyclos leur viendront également en aide, le sentiment d'appartenance à la grande famille des cyclos s'est créé au fil des jours et développe naturellement l'entraide. C'est un sentiment nouveau pour moi, et j'aime beaucoup.
On embarque dans le bateau de 11h, qui longe de magnifiques glaciers avant d'atteindre le sud du lac. Pour arriver à El Chalten, il faut encore rouler 37 km de ripio assez mauvais. Plus on avance dans la vallée, plus le vent est fort et froid, ça sent l'Argentine. Ca signifie aussi qu'on a bel et bien achevé la Carretera Austral, et réussi à traverser cet passage de frontière unique au monde ! Et dire qu'il y a quelques semaines je faisais tout pour y échapper :o)