Vélo stop ? Auto-stop. Puerto Madryn, Argentine

22/03/2014

Entrée de Rio Gallegos. 18 mars, 13h30. Ushuaia est à 500 km plus au sud, et on décide d'arrêter là notre progression à vélo vers le Cap Horn. Manque d'envie, je ne sais pas. Le vent de travers, possible. D'autres horizons en tête plus au nord, sûrement. Au dessus de nos têtes, un panneau indique "Buenos Aires : 2579 km". Je regarde Berga, en un signe on est d'accord : pas question de se taper tout ce chemin à la force de la pédale, la pampa aride de la côte atlantique n'a pas grand chose à nous offrir.

On retire les sacoches de nos vélos, on s'assoie comme on peut dans ce désert rocailleux, et à l'affût des vipères et des mygales, on se tient prêt à lever le pouce au moindre vrombissement de moteur. Une demi heure plus tard, un Kangoo nous propose de nous embarquer jusqu'à Piedra Buena, 200 km plus au nord. Nous démontons les vélos, rentrons le tout dans le coffre, et partageons l'espace avec un autre auto-stoppeur, un très jeune argentin fumeur et chevelu. Ce dernier nous a vu lutter contre le vent sur nos machines il y a quelques jours du côté d'El Calafate, et a donc aujourd'hui poussé le conducteur à nous embarquer. Solidarité des bohèmes de la route. Le chauffeur nous offre une poignée de croque monsieur. Et l'inévitable maté. Solidarité du ventre. On le remercie, et on débarque à Piedra Buena. La seule oasis à des lieues à la ronde où les guanacos ne se suicident pas sous les roues du premier camion venu.

On se détend le pouce pendant la nuit, avant de le reposer le lendemain matin sur le bord de route. Un jeune avocat propose de nous avancer de quelques kilomètres, en faisant un détour par Puerto Santa Cruz. Première occasion de voir l'Atlantique, et de découvrir l'endroit où Charles Darwin a débarqué de son vaisseau "Beagle" il y a plus de 200 ans. Pendant que l'avocat se presse à ses affaires, on en profite pour dire bonjour aux trois mamies qui tiennent le musée local. Visite guidée, toute en doigté et en tact so british. Notre guide quinquagénaire va suivre son militaire de mari pour une mission des Nations Unies en Crète, elle est donc ravie de rencontrer des français avant son séjour en Europe, suspendue à son espoir de visiter notre pays "maravilloso". L'avocat nous récupère juste avant l'heure du thé, il a envie de nous parler politique, de tous ces populistes qui font tant de mal à l'Argentine depuis des années. Il nous invite à sa table ce soir, mais nous, on préfère la route. Encore et encore. En cette fin d'après-midi, cela sera la compagnie d'un gentil routier au physique des indiens de l'altiplano, râblé et tanné, qui ne voit que ce "gato negro" (chat noir) allemand pour priver l'Argentine d'une coupe du monde de football en juin.

On le laisse à ses rêves, pour sauter dans la jeep sur-équipée de Tico et Carol, deux brésiliens partis dans une année de lune de miel au volant de leur tout-terrain. On leur parle de notre difficulté à trouver des endroits abrités du vent dans le désert de la pampa pour planter notre tente, ils nous confient leur impossibilité de trouver un pilote chevronné pour survoler les glaciers reculés de la Patagonie chilienne. Conclusion validée en commun : on a tous des "problèmes", seule leur nature diffère suivant le contenu de notre porte monnaie. Ils nous entraînent dans la visite guidée du parc national de Monte Leon. Une colonie de pingouins nous souhaite la bienvenue, le puma qui venait se servir dans son garde manger préféré lui vient de détaler, en attestent les traces fraîches dans la boue. On se laisse nos coordonnées en vue de la prochaine coupe du monde, et on reprend notre station en bord de la nationale 3. Encore 2372 km à parcourir.

Ce matin, il nous a fallu faire un petit déjeuner conséquent. Car l'attente risque d'être longue. Et le vent ne va pas nous laisser de répit. Des rafales à plus de 100 km/h sont annoncées, assez pour envoyer un estomac vide valdinguer dans le désert pampaïesque. On trouve une cahute de policier abandonnée en bord de route, on s'y protège comme on peut, n'en sortant que pour tendre un bout de carton où est inscrit "Norte" (Nord). Berga improvise un pas de danse pour attirer l'oeil du chaland, au bout d'une centaine de véhicules et de 3h30, une nouvelle Kangoo stoppe. Devant tout notre attirail à charger, le conducteur a un moment de doute, vite dissipé quand il voit notre organisation professionnelle et rodée pour tout caser : on connaît désormais notre affaire en Kangoo. Cristian convoie des véhicules de location, les ramenant à leur port d'attache. Moi j'aime bien tous les tatouages qu'il arbore fièrement, le prénom de l'une de ses filles en caractères gothiques à l'intérieur de l'avant bras gauche, des chiffres romains sur son biceps droit, et dans son cou, sous l'oreille droite, un pictogramme chinois. Pour les visibles. Une mezcla (un mélange) à l'image de cette Argentine dont les racines se terrent loin, loin sous les océans.

Bon la discussion tourne vite en boucle, et la troisième fois qu'il me parle de ses vacances en Fiat Uno avec les 5 femmes de sa vie, je finis par tourner de l'oeil. Berga est là pour me donner discrètement quelques tapes amicales sur la nuque pour m'empêcher de m'endormir. J'en viens presque à vouloir le suicide sous nos roues de l'une de ces innombrables autruches que l'on croise, un peu d'animation me secouerait de la torpeur qui s'immisce dans tous les recoins de ma carcasse. Alors que le soleil se noie dans le mazout, on saute de la Kangoo à Comodoro Rivadavia, port de transit du pétrole et de l'or. Pas grand chose pour le voyageur, si ce n'est les déferlantes côtières qui nous trempent les mollets, des odeurs d'huile rance et un lit défraîchi.

On stationne, pouce levé, devant la station essence. Derrière nous, un panneau indique "Buenos Aires : 1830 km". "Vous allez au Nord ?" nous hèle Sebastian. Devant notre signe de tête en guise d'acquiescement, il nous montre la remorque arrière de son camion, débâchée et ouverte. "J'ai convoyé des tubes d'aluminium pour les stations de forage pétrolier, mais là je remonte à vide. Chargez votre barda à l'arrière, sanglez tout et grimpez dans ma cabine.". On ne se le fait pas dire deux fois, on monte tout et on saute à côté de son volant. Sebastian pose les règles de jeu d'entrée : il nous convoie à Puerto Madryn, mais il faut pour cela l'aider à rester éveillé, car dans les dernières 48 heures il n'a dormi que 5 heures, et passé le reste du temps à rouler ... et à boire du maté. Sebastian était chauffeur de taxi, est devenu conducteur de poids lourds comme son papa, mais sa passion c'est surtout les voitures de rallye. Et son idole Sébastien Loeb. En six heures je deviens expert en turbo, carburateur, injection électronique, nafta, nitro. Berga a décroché depuis longtemps, plongée dans le troisième tome de "50 nuances de gris", le même bouquin dont elle m'avait dit il y a quelques jours que c'était un passe-temps pour ménagères ménopausées.

Sebastian a enchaîné la discussion sur la vie de routier, je tends alors l'oreille aux chevaux(-moteur) de notre monstre, je regarde avec compassion les traces de pneu sur la route qui dénote le freinage d'urgence d'un 38 tonnes, je me plains aussi de l'état de la route et de ses vagues qui tuent les suspensions, je regarde avec appétit la dernière nouveauté, le 4400 de chez Renault (ou Volvo, pareil igual), sa cabine double-couchette et son lecteur DVD inclus en série, je me satisfais avec lui de ces routes du sud, certes interminables, mais où au moins la police de la route n'est pas trop présente et regardante sur le nombre d'heures de conduite.

Km 1399. 21 mars, 17h45. Terminus, tout le monde descend. Sebastian n'aura pas un nouveau chargement d'aluminium demain matin, il faudra qu'il attende quelques jours ici à Puerto Madryn. Il nous serre dans ses bras, nous prodigue mille recommandations, on sent qu'il ne veut pas vraiment nous lâcher. "Faites attention à vous, les grandes villes ne sont plus sûres en Argentine. Et puis, les gens ne sont pas toujours ce qu'ils ont l'air d'être.". On le remercie, on lui rend chaudement son abrazo. Je ne partage pas toujours les centres d'intérêt et les pensées de mes congénères, mais la solidarité spontanée d'inconnus croisés en bord de route me donnera toujours foi en notre humanité.

Jéjé

Pris sur le vif

Déjà parcouru

     1186 km      17053 km
     168 km      232 km
     6342 m (6)


Où sommes nous ?


Date : 13/08/2014
Lieu : Saugnac et Cambran, France
Déplacement : Repos
Direction :

Sur la carte ...

Votre dernier message

, le 08/09/2023


Tous les messages