Taapaca dormir Putre, Chili

12/04/2014

A 130 km du Pacifique et après 60 km de montée dans un désert de dunes et de cactus, le bus La Paloma s'arrête sur la place principale de Putre. Les 6 voyageurs descendent, 2 d'entre eux récupèrent leurs trois gros sacs en soute. En face d'eux, sur deux piliers de pierre taillée, une enseigne de bois souhaite un "Bienvenidos en Putre".

Putre, porte d'entrée de l'Altiplano, 3560 mètres d'altitude. 1205 habitants, 8 épiceries, 7 restaurants, 6 maisons d'hôtes, 4 hôtels, son église de 1670, église qui assistait déjà au passage des Espagnols qui revenaient de la Potosi Bolivienne les sacoches chargées du métal argent, avant de s'embarquer sur leurs bateaux de la côte Pacifique à destination du Royaume ibérique. Espagnols qui devaient s'arrêter là pour trouver pitance pour le souper et abri pour la nuit.

Putre, sa Plaza de Armas, entourée par la mairie, la maison paroissiale, l'office de tourisme, et surveillée par 3 mamies au chapeau de feutre rond et au fessier tout aussi garni, qui confortablement assises sur un banc du parc central, commentent l'arrivée des deux derniers passagers du bus, "cela faisait longtemps qu'on n'avait pas vu des touristes par ici" lâche l'une d'entre elles. Du blanc interrogatif qui suit, on en devine que l'air raréfié des montagnes en sera soudainement plus oxygéné.

Putre, ses rues en pavé, ses maisons de brique grises repeintes en blanc, dont certains murs se sont effondrés suite au tremblement de terre de la semaine dernière, ses canaux d'irrigation chargés de l'eau qui descend des montagnes voisines ... et puis ses deux individus à la peau pâle, peau pas encore trop tannée par le soleil, qui déambulent au gré des pavés, frappant de temps en temps à une porte de bois lézardé pour demander si l'arrière cour ne contiendrait pas une chambre pour la nuit et un chauffe eau "para calentar la agua" descendue des glaciers. Et se retrouvent finalement soulagés à dormir sous une simple tôle, il vaut mieux avoir le bout du nez froid au petit matin que de se le retrouver écrasé par une brique de ciment qui n'aurait pas supporté une nouvelle vibration de la Terre.

Putre, en bout de piste, à 4 km de la carretera principal, village qui attire et retient le voyageur de passage. Le patron de l'office de tourisme est catégorique : "On vit dans une des plus belles régions du Chili". Et il est aussi tout aussi catégorique en disant "mais aussi l'une des plus mal desservies". Dur de venir ici, encore plus dur d'en repartir. Et vu qu'une majorité du village déconseille de s'adresser à l'unique prestateur de services touristiques de Putre pour se déplacer, "Carrrrriiiiiisssssiiiiimmmmmooooo !!! sera le commentaire le plus éloquent fait par un épicier déjà voleur de nature, il ne reste que les jambes ou le pouce pour sortir de cette ornière et se promener du côté du Parque Nacional de Lauca. Avec ses vigognes, lamas, vizcachas (lapin à la queue d'écureuil), et surtout ses deux volcans jumeaux Parinacota et Pomerape, cela serait incontestablement une nouvelle "Merveille de la nature" si les habitants du coin savaient en parler. La ballade vaut bien aussi l'incertitude de rester coincé la nuit sur l'altiplano désertique, sans jeep à des dizaines de kilomètres à la ronde pour nous ramener dans le confort rustique mais douillet du village putreñito.

Putre, ses vendeuses de tissu, qui écoutent en continu la radio locale, "Radio Putre", dont le présentateur est installé sur un siège à quelques dizaines de mètres de là, en commentant la dernière catastrophe naturelle que subit le pays ... et son conseil municipal, dont les deux principales tâches sont soit d'effectuer des travaux de restauration des bâtiments endommagés par les tremblements de terre, soit de lancer un appel aux dons pour soutenir les habitants d'une autre région du Chili, victimes eux aussi d'un tremblement de terre, d'un tsunami, d'une éruption volcanique ou d'un incendie. Drôle de pays à habiter se dit parfois le voyageur de passage, aussi souvent victime de catastrophes, et dont l'oeuvre publique se dédie à reconstruire ce que la Terre s'acharne à détruire.

Putre, sa banque qui n'est jamais ouverte et son distributeur bancaire qui ne marche pas. Où l'on s'entend dire que le dit distributeur ne sait pas lire les cartes à puce, qu'il n'en a jamais été ainsi, et qu'il y a sûrement d'autres priorités ici. Et que donc pour utiliser une carte bancaire internationale, il faut soit suivre la route sur 420 km vers le nord-est, direction La Paz, soit redescendre sur le Pacifique sur 130 km, direction Arica. Ce qui au vu de la fréquence atone des bus, conduit l'imprudent voyageur à tenter sa chance une belle journée pouce levé auprès des camionneurs boliviens qui descendent sur le port d'Arica se charger en pétrole. Un voyage pour rentrer alourdi de quelques dizaines de milliers de pesos chilenos.

Putre, et sa Putreñita, une mamie énergique qui a la blague pour tout le monde, du cantonnier au commandant de la base militaire, de la gamine qui vient lui acheter trois bonbons à la voisine qui lui confie son désespoir depuis le départ de son mari pour un travail à la ville d'Arica. La Putreñita, qui a aussi du respect pour l'histoire et les légendes. Et notamment celle qui entoure le feint endormissement du volcan Taapaca, dont les 5860 mètres font de l'ombre au petit village, quand le soleil peine encore à se lever à l'est. "Si tu dors sur ses flancs, il te parlera pendant la nuit, en te faisant un bruit sourd, comme ça, un ouuuuuuuuuuuuuuuuummmmmmmmmmmmmmmm, et cela t'empêchera de dormir". Parle Putreñita, le touriste en a vu d'autres, des volvans qui miaulaient ou rugissaient. Mais quand au petit matin du 11 avril, à 4460 mètres d'altitude, le réveil sonne dans la petite tente verte acrobatiquement perchée sur les laves refroidies du volcan, le touriste regarde sa moitié, de ses yeux rendus vitreux par le manque de sommeil il lui demande d'éteindre le mauvais plaisantin, épuisé d'avoir eu toute la nuit à écouter la lancinante et sourde lamentation du volcan. Et le même Taapaca regardera une dernière fois ce couple de touristes, parti avec un retard de trois bonnes heures sur l'horaire prévu, s'arrêter à 300 mètres en dessous du sommet, lever les yeux vers le sommet ... qui par une dernière moquerie se couvrira d'un manteau de nuages. Trop tard dira le volcan, t'avais pas qu'à dormir ce matin.

Jéjé

Pris sur le vif

Déjà parcouru

     1186 km      17053 km
     168 km      232 km
     6342 m (6)


Où sommes nous ?


Date : 13/08/2014
Lieu : Saugnac et Cambran, France
Déplacement : Repos
Direction :

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