Neuf jours chez les Quechua Cordillère Huayhuash, Pérou

05/05/2014

Il paraît que c'est la plus belle randonnée du Pérou, certains disent même d'Amérique du Sud !!! Et vu qu'on est justement ici pour voir de belles choses, j'accepte l'invitation du Jéjé et je charge au maximum mon sac à dos des 180 soles de nourriture. On a décidé de partir en autonomie sur 9 jours pour faire le tour de la Cordillera Huayhuash, ce qui représente près de 17 kilos sur mon dos et 24 sur celui du Jéjé. Basta les agences et compagnie, on est bien assez têtu pour se prendre pour des mules et y arriver tout seul ! Côté temps, on ne se pose même pas la question, on est là pour respirer l'air libre coûte que coûte !

26 avril, Pocpa -> Quanterlhain (3h45 pour 14km)
Dès 5h du matin, un petit bus local nous achemine vers la cordillère Huayhuash, 5h de routes sinueuses entre hauts plateaux et cols pluvieux, petits villages de montagnes, lamas et moutons angoras et population 100% quechua (du chapeau haut de forme fleuri et multiples jupons colorés). Une fois débarqué, on attaque la rando en douceur, en suivant une piste qui permet l'accès aux mines de la vallée (or et zinc). Mais l'exploitation de ces mines a eu des conséquences écologiques importantes : depuis plusieurs années, la pollution de l'eau du rio Llamac a obligé les paysans à abandonner les terres de culture des alentours, alors qu'ils avaient développé un système d'irrigation performant dans toute la vallée en construisant des canaux. Le gouvernement n'est pas dupe, depuis peu il multiplie les tentatives de rénovation (centrale hydro électrique) et communication (nombreux panneaux sur la protection de la nature, de l'eau et de l'environnement) pour favoriser le développement durable et l'écologique ...

27 avril, Quanterlhain -> Laguna Mitucoha (4h30 pour 11km)
Pffiouf, 500m de dénivelé chargé autant que les mules qui m'ont doublé sans un regard compatissant, et on enchaine par un raccourci à la Jéjé aux milieux des roches, des bovins et des marécages. Me voilà bien contente de poser la tente au bord de lac, face au Jirishanca (6094m) et j'ai même le temps de faire un brin de toilette. Et puis César, employé de la proche communauté, débarque à cheval, il nous précise d'abord qu'on ne peut pas camper ici sous peine d'amende (il y a un campement officiel plus loin près d'un hameau) et qu'il faut également payer le droit de passage (40 soles par personne). Bon, le droit de passage, on est au courant, il y a environ 8 contrôles (un par communauté traversée) où il faut à chaque fois payer une somme comprise entre 10 et 20 soles, soit au maximum un total de 200 soles sur la randonnée. On s'assoit dépité, on s'explique, on accuse l'office du tourisme auprès duquel on s'est renseigné de ne pas détenir toutes les informations, on négocie et finalement on paie un total de 60 soles tout en ayant le droit de laisser la tente ici. César est conciliant, Jéjé grand négociateur et moi ravie de ne pas avoir à déménager notre campement.

28 avril, Laguna Mitucocha -> Laguna Siula (6h pour 18km)
C'est après le passage d'un nouveau col, au détour d'un virage boueux qu'on se trouve nez à nez avec un berger et son troupeau de moutons. Après un brin de causette et les échanges communs à tous les montagnards que nous rencontrons ("de donde son ?" "como se llaman ?" "cuanto anos tienen ? " et "no mulas ?"), il nous conseille un raccourci sympa qui nous fait gagner du temps. Nous voilà donc partis droit dans la pente pour contourner le lac côté droit et accéder directement à la vallée des 3 lacs où l'on va passer la nuit. En arrivant sur les berges du lac, à une centaine de mètres d'une habitation où sèche du linge, une mamie quechua accourt vers nous dans ses bottes de caoutchouc, ses mains contiennent plusieurs pierres. Vue son oeil pétillant et son tendre visage, je comprends que les pierres ne nous sont pas destinées et l'instant d'après je les vois voler vers un molosse à grande gueule qui surgit derrière nous. "Caramba !, Cuidado con el pero negro, esta muy peligroso, Caramba !". Et voilà Mamie Caramba qui nous escorte gentiment pour traverser sa propriété, bien consciente qu'on n'était pas loin du drame si mordus par ses chiens, vu la complexité pour accéder aux premiers soins ...

29 avril, Laguna Suila -> Laguna Jurancha (4h15 pour 12km)
La veille, on a décidé de planter la tente sur un replat surplombant le lac Siula, face à un glacier monstrueux. Le climat est doux mais pluvieux, ce qui a provoqué de nombreuses chutes de glace pendant la nuit. Mon sommeil a été rythmé par ces nombreux grondements assourdissants, l'impression d'avoir planté la tente à proximité d'une piste d'atterrissage ! Il faut attendre 11h du matin pour que la pluie s'arrête, mais le temps reste menaçant. Jéjé souhaite rester un jour de plus pour laisser passer "l'anticyclone", moi je souhaite m'écarter des glaciers et aspire à une nuit plus calme. Cette fois-ci, Jéjé cède non sans préciser qu'"on fait une grosse connerie". Je suis très fière de ma décision en attaquant le raide col sous un ciel mi-soleil mi-nuages, je le suis beaucoup moins quand on enchaine un déluge de grêle en haut du col, suivi d'une tempête de neige, suivi d'une averse interminable sur la descente ... Okay, j'ai gagné une nuit plus tranquille au détriment de fringues trempées et d'un Jéjé grognon qui n'aime décidément pas sortir sous la pluie !

30 avril, Laguna Jurancha -> Laguna Viconga (5h15 pour 19km)
Humm, c'est bien lumineux ce matin, serait-ce le soleil qui frappe sur la toile ? Ah non, tiens, 3cm de neige fraîche recouvre tente et alentours. Encore un départ décalé à 10h, le temps de tout faire sécher. On traverse le village de Huayhuash, sans aucun contrôle en vue, on monte le col Patachuello pour redescendre sur la Laguna Viconga, sa presque île où domine une maison de berger, un glacier en forme de dôme, un troupeau de lamas effrayés par notre folle allure ; malgré la bruine et le ciel bas, le site est magnifique. J'insiste un peu auprès de Jéjé pour marcher jusqu'au prochain campement, histoire de réduire la journée suivante et avec l'espoir secret d'y trouver une source d'eau chaude ... Bingo, les bains chauds légendaires du coin sont à deux pas du campement, organisés de telle sorte qu'on peut se laver, faire une lessive, basculer entre deux bassins à différentes températures et cerise sur le gâteau ... commander une mousse au campesino du coin les pieds dans l'eau ! Un groupe de 4 brésiliens rencontrés sur les sentiers savourent déjà l'eau chaude et la bière, on les rejoint sourire aux lèvres, trop contents de ce luxe improbable au beau milieu de notre parcours.

1er mai, Laguna Viconga -> Huayllapa (8h pour 29km)
Pendant que les défilés s'organisent à travers toute la planète pour la fête du travail, on se joint aux brésiliens pour aller manifester notre joie à 5030m, sous un temps dégagé et avec la satisfaction d'admirer deux sommets dégagés : le Cuyoc et le Yerupaja. Et puis c'est une descente interminable (près de 1500m) pour atteindre le village de Huayllapa, entre pentes abruptes, hauts plateaux marécageux et fonds de vallées riches en cultures agricoles. Deux heures avant d'arriver au village, alors qu'on est suspendu sur un chemin de chèvre au dessus d'une barre rocheuse verticale, on entend quelqu'un hurler de l'autre côté de la vallée, on devine au loin une bergère qui s'agite dans tous les sens et on finit par comprendre qu'on fait fausse route, qu'il faut prendre un peu plus bas pour contourner la montagne. Encore une mamie attentionnée qui nous sauve d'un mauvais pas ! On arrivera à la tombée de la nuit à Huayllapa pour poser notre tente au stade, ce qui ne manquera pas d'attirer l'attention des enfants, réputés pour être d'habiles voleurs nocturnes, tout du moins c'est ce que le vieux concierge du stade nous lâche ... mais ils n'ont visiblement pas été attirés par l'envoûtante odeur de nos pieds ;o)

2 mai, Huaypalla -> Angush (5h30 pour 16km)
Youpy, le temps est avec nous et ça tombe bien car on a quand même une grimpe de 4h30 pour atteindre un nouveau col ! La première partie de la montée est assez encaissée dans la vallée, on suit des rivières. Puis le paysage s'ouvre sur de petites bergeries et enclos en pierres, signes qu'il y a du monde qui vit ici, en dehors des quelques ânes et des moutons rencontrés. Soudain, alors que le sentier longe un petit ruisseau, j'entends un gémissement sur ma droite, j'ouvre au maximum mes mirettes pour détecter d'où vient ce bruit et là, je croise le regard désespéré de Frimousse, j'y lis le dernier espoir, la fatigue, le froid. Ni une ni deux, je jette mon sac, mes bâtons, ma casquette et je cours vers la rive où la boule de poils est à deux doigts de lâcher prise, ses pattes avant plantées sur le bord du ruisseau, le reste du corps qui flotte dans le courant d'eau froide. Une fois déposé sur l'herbe, le petit chien grelotte tant et plus, le train arrière paralysé par le froid ; je le frictionne encore quelques minutes, le temps que Jéjé explique à deux bergers l'aventure de la pauvre bête, qui s'avère leur appartenir. Je reprends la route, encore toute émue par ma bonne action, quand notre sentier croise celui de Carlita, bergère d'une quarantaine d'années, qui vient papoter un bout avec nous. Elle kiffe mon bâton de rando, je lui tends pour qu'elle l'essaie, elle me donne son bout de bois et continue à parler comme si de rien n'était. Après de longues minutes, je me décide à récupérer non sans mal mon bien, prétextant de nouveaux volcans à gravir en Bolivie. Je sens qu'elle est vexée, je le suis également, ne souhaitant pas accomplir deux BA dans la même journée, c'est trop d'émotions !

3 mai, Angush -> Pampa Llamac (5h30 pour 20km)
C'est la dernière grande étape de notre expédition, on décolle à 8h45, la tente pliée encore mouillée. Le premier col nous offre une vue magnifique sur la cordillère Huayhuash ... toute dans la brume ... et même en prenant le temps de déjeuner en bord de lac, un peu plus bas, la vue ne se dégage pas. On décide donc de s'approcher au maximum de Llamac, où on peut prendre un bus le lendemain à 11h. Le sentier est à flanc de pente et en traverse, dans les rochers et forêts, un dernier petit col nous amène à 4300m où notre campement surplombe la vallée. On déguste notre dernière ration de pâtes-thon-mayonnaise.

4 mai, Pampa Llamac -> Llamac (1h45 pour 6km)
Alors qu'on finit notre déjeuner et qu'on s'apprête à dévaler la dernière pente, un papi berger pousse à coup de fouet son troupeau de moutons vers les hauteurs. Il vient nous parler, on lui offre café et biscuits, il nous explique qu'il souffre de rhumatisme aux genous, et nous demande des médicaments pour le soulager. On lui propose des cachets pour le ventre qu'il enfouit rapidement dans sa veste, sans vraiment trop écouter la posologie conseillée par Jéjé ... Le temps s'est dégagé de toute brume et nuages, sous le soleil la descente vers le village est superbe : des cactus, des fleurs de toutes les couleurs, des jardins, des odeurs, des palmiers, ... on se croirait dans Alice aux Pays des Merveilles, rien de tel pour clôturer cette belle aventure ! On en oublie le temps, les sacs trop lourds, la nourriture peu variée ; on en retient surtout des échanges simples au fil des sentiers, des rencontres attentionnées, les sourires encourageants des habitants. Un rando à échelle humaine, quoi !

Berga

Pris sur le vif

Déjà parcouru

     1186 km      17053 km
     168 km      232 km
     6342 m (6)


Où sommes nous ?


Date : 13/08/2014
Lieu : Saugnac et Cambran, France
Déplacement : Repos
Direction :

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