La divine bonté d'Eole Richardson Highway, Alaska, Etats-Unis

28/04/2013

Vendredi 26 avril : 7h de vélo, 125 km parcourus

Hier soir j'ai profité de la chaleur de la maison pour un atelier couture (à -10 degrés dans ma tente c'est parfois compliqué). Entre le fait que je maltraite mes gants et qu'une partie de mon matériel souffre de vieillesse et du froid, j'ai fort à faire. Ce matin c'est un atelier mécanique sur le vélo : il faut lubrifier, resserrer les boulons, réajuster les parties sensibles. Auparavant, Audie m'a envoyé me ballader sur la Denali Highway en me faisant miroiter des paysages magnifiques : il a sûrement raison, le seul souci est qu'au bout de 3 miles (sur les 14 qui étaient normalement déneigés), la route est tellement verglacée que je me suis étalé 3 fois de tout mon long sur le tarmac. J'ai arrêté là les frais, en me disant qu'il y aurait peut être une semaine d'ici la fin de mon périple alaskan pour revenir dans cet endroit et en profiter sans passer mon temps à regarder sous les roues.

Eole se réveille dans la matinée, mais toujours dans sa grande mansuétude, il a décidé de continuer à souffler du nord vers le sud, dans le sens de ma progression. Donc même si je démarre tard (midi), j'ai plus souvent les mains sur le haut du guidon, porté par un vent constant, et la tête au dessus de la taïga, à admirer ce qui semble être là-bas au sud-est les Wrangell Mountains, la destination de ma prochaine journée. Je descends progressivement le long de la Gulkana River, qui déplie ses méandres en contrebas de la falaise à l'ouest.

La circulation est éparse, un 4*4 ou un pick-up toutes les 10 minutes environ, et je remarque que bon nombre d'entre eux me lèvent une main d'encouragement. Et lorsque je m'arrête, pour un ravitaillement ou satisfaire à un autre besoin, souvent le véhicule qui me croise en fait de même, pour me demander si tout va bien. Bien sûr que tout va bien, maintenant que je m'en suis mis plein les chaussures et le pantalon en rentrant l'objet du délit trop prestement ! Seuls les conducteurs des gros camions (2 remorques de 38 tonnes accrochés, souvent du pétrole) sont insensibles à ma présence, en ayant tout de même la délicatesse de s'écarter au maximum de moi, pour ne pas trop me faire subir les projections de cailloux.

J'arrive à Glennallen alors que le soleil se fait plus rasant, et je m'installe aux portes de la ville dans un camping, qui comme tous les précédents est fermé. Je suis le locataire fantôme des campings d'Alaska, celui qui plante la tente à l'abri du panneau "Closed for winter", et rôde dans les bois à la recherche d'une neige pas trop salie pour faire fondre de quoi cuisiner le plat du soir.

Samedi 27 avril : 3h30 de vélo, 62 km parcourus

Si j'excepte la caissière du supermarché à qui j'ai tendu quelques dollars, la postière à qui j'ai demandé l'adresse de la librairie publique, et la libraire à qui j'ai demandé s'il y avait le wifi accessible, l'indien (natif) massif à la mine patibulaire qui se tient au volant de son 4*4 est la seule personne à qui j'ai adressé la parole à Glennallen. Et l'entretien a plutôt mal démarré : "Do you have any permission to camp here ?" m'a-t-il adressé alors que je suis en train de plier mes affaires dans la tente. C'est bien connu que les indiens sont méfiants avec les fantômes et autres esprits, surtout ceux qui rôdent sur leur territoire. "I came yesterday night, it was late and after a long biking journey, I didn't find any place to camp downtown. So when I saw this campground beside the road, even if it was closed, I pitched my tent, because I knew it was only for the night. Sorry about that." je lui ai répondu d'un air totalement contris. Il m'a répété que l'endroit était fermé, je lui ai dit que je partais dans l'heure, j'étais d'ailleurs en train de plier mes affaires.

Pour ceux qui ne pipent mot en anglais, voilà une traduction approximative de ma réponse : "Tu as beau avoir deux fois mon coffre, au niveau de ta caisse ou de ton physique, de longs cheveux noirs, un bouc que tu as dû mettre des années à faire pousser espèce d'imberbe, sache que je ne comptais de toute façon pas demander ta permission pour dormir ici. En plus j'ai passé une excellente nuit, et ce matin j'ai arrosé la moitié des arbres du quartier et j'ai chié au pied de ton plus beau épicéa, vu que tu as eu la délicatesse de fermer toutes les toilettes de ton camping."

Il m'a salué de l'air du mec satisfait d'avoir fait respecté son autorité, salut qu'il répètera quelques kilomètres plus loin alors qu'il me doublera dans un grand vrombrissement sur la route de Valdez. Une grande partie des terres autour de Glennallen a été rétrocédée aux indiens, ce dont ils essaient de faire bon usage en promouvant le tourisme en plus de leurs activités traditionnelles (chasse, pêche). Il n'y avait donc aucune raison qu'il se laisse marcher sur les pieds par un blanc bec.

Pour le reste, vent de nord, je roule au sud, quelques poils qui me servent de cheveux dansent sur ma nuque, j'ai en point de mire les Chugach et les Wrangell Mountains. Le point à noter : il y a une cohorte de bald eagles (pygargues à tête blanche) qui me survolent régulièrement, et un corbeau qui me suit depuis 100 km, croassant à mon passage, toujours juché sur un arbre assez haut pour échapper à une éventuelle boule de neige.

Dimanche 28 avril : 8h de vélo, 139 km parcourus

Le Thompson Pass, c'est le dernier écueil qui me sépare de Valdez et du Pacifique. Et vu que je me suis fait un peu "secoué" sur le col précédent, après une courte nuit, je suis aux aurores en train de me préparer, nourrir, abreuver, calfeutrer, me répéter mentalement où les choses se trouvent dans mon barda. Je dois trouver rapidement une solution à tout pépin pour éviter de me les geler là-bas en haut.

Et tout se déroule de la plus parfaite des manières, une journée idéale, vent constant mais pas violent qui me porte sur la route, un beau soleil qui me permet d'admirer sans retenue les belles lignes de crêtes et cîmes blanches qui m'entourent. Je remonte un fond de vallée, roulant sur un billard qui m'emmène au paradis blanc, avant de plonger dans le paradis bleu, celui qui m'attend tout au bout de la route, dans les eaux du Pacifique.

Mais avant cela il faut parcourir ces deux derniers kilomètres qui me mène en haut du col. Et je ne sais pas pourquoi, Eole décide alors en une demi-heure de me faire payer 6 jours de bonté ... Je mesure à quel point l'addition aurait pu être différente s'il avait décidé de me les pourrir à longueur de journée.

Durant la longue descente sur Valdez qui me permet de faire fondre la glace qui s'était cristallisée sur mon iris durant la dernière partie de l'ascension, je constate ô combien le pays est arrosé : c'est à minima un mètre de neige qui borde les deux côtés de la route, même au niveau de la mer. Le lieu est spectaculaire : des montagnes blanches qui se jettent dans les eaux brillantes du golfe d'Alaska, un mélange que je n'ai trouvé que sous ces latitudes. J'écume les rues désertes du port, balayées par l'air marin, je n'y vois qu'embruns et montagnes de neige durcie. La taverne doit dégorger de marins en sursis de départ, et moi j'erre comme un vagabond à la recherche d'un endroit pour planter ma tente. Mais il y a toujours une âme charitable pour les clochards roulants, même si elle a souvent dépassé les 60 ans.

Jéjé

Pris sur le vif

Déjà parcouru

     1186 km      17053 km
     168 km      232 km
     6342 m (6)


Où sommes nous ?


Date : 13/08/2014
Lieu : Saugnac et Cambran, France
Déplacement : Repos
Direction :

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