Histoire d'eau Prince William Sound, Alaska, Etats-Unis

03/05/2013

Valdez, c'est deux mètres de neige de haut quelque soit le côté où je regarde. Même si je suis à moins de 300 mètres de la mer, je ne vois que du blanc autour de moi. Je comprends pourquoi tout le monde me répète que c'est l'endroit le plus enneigé des Etats-Unis. Avec l'accord du débonnaire et sympathique propriétaire, j'ai pu poser ma tente sur un endroit sec, à l'abri de l'auvent de sa grande bâtisse en bois. Tant mieux, car hormis mon jour d'arrivée, la neige n'a cessé de tomber depuis que j'ai posé les pieds ici.

Valdez, c'est le port d'embarquement du pétrole alaskan. A cette latitude, c'est le seul port américain ayant les eaux libres (et non prises par les glaces) à longueur d'année. Trois énormes tankers partent donc chaque semaine d'ici les cales pleines de l'or noir. La moitié des 4000 habitants travaille directement pour la compagnie de pétrole. Un quart est lié à la pêche (saumon, crabe, crevette ...). Le reste vivant du tourisme (ski, pêche sportive). On est en pleine saison morte : l'hiver se termine, les derniers skieurs rangent les planches. Et les amateurs estivaux de vie marine ne sont pas encore là.

Du coup quand je trimballe sur le port ma ganache barbue prête à grimper sur le premier kayak venu, le seul prestataire louant en ce moment des kayaks fait grise mine. Trop tôt il me dit, pas assez rentable j'ai bien compris. Pas grave. Si ce n'est pas moi qui suis à la manoeuvre de l'esquif, je trouverai bien le capitaine d'un plus gros navire pour mener de l'autre côté de la baie du Prince William Sound, vers la péninsule du Kenai, là où on dit le temps plus clément et les eaux déjà propices à la glisse.

Un petit matin neigeux, j'embarque donc sur le ferry Aurora, en compagnie de François, un normand à bicyclette, parti de Vancouver 2 mois plus tôt, et de 2 retraités en vadrouille. L'un des marins nous dit que c'est l'un des voyages où le rapport "tonnes de fioul / voyageurs" est le plus élevé qu'il ait vu, je veux bien le croire. 4 personnes dans un bateau qui peut en contenir 60 fois plus, l'Alaska Marine Highway a intérêt à poser des filets en chemin pour rentabiliser le voyage qui nous mène jusqu'à Whittier.

Et du poisson et autre mammifère marin, on en verra : des orques d'abord, qui par deux ou trois font apparaître leur aileron à une centaine de mètres à tribord. Des dauphins ensuite, qui jouent sans discontinuer dans le sillage du bateau. Des baleines grises enfin, dont le souffle caractéristique a été repéré au loin par le capitaine à l'oeil aguerri. Par contre, côté paysage, c'est un océan de coton : brouillard, neige, écume. Une nouvelle fois, un marin me rappelle qu'on est dans une région extrêmement arrosée. J'ai l'impression qu'ils se traînent tous ça comme un boulet ici. Boulet avec lequel ils sont à deux doigts de pied de se jeter dans la baie, durant les interminables nuits hivernales.

Le bateau s'immobilise, les amarres sont attachées, la porte du ferry s'ouvre en grand, et sur nos vélos on fait du surplace dans la cale pour éviter de sortir trop tôt. On a dû me mentir sur la péninsule du Kenai, le temps est presque pire qu'à notre départ de Valdez. Allez, de toute façon on sera mouillé, et ce n'est pas le port de Whittier qui va nous offrir un hébergement : 90% des habitants vivent dans le seul immeuble de la bourgade, et pour m'offrir le moindre hôtel miteux du coin je serai obligé de vendre mes sacoches de vélo. Vu que c'est la seule chose que j'ai encore d'imperméable, hors de question.

On traverse le port sous la grisaille, la tête enfoncée dans nos ponchos. On quitte à peine la rive que l'entrée d'un tunnel triangulaire nous arrête. C'est la seule route pour sortir de ce trou à rats, cloisonné par des sommets aux parois de 1000 mètres. "Tunnel interdit aux vélos" peut-on lire sur les panneaux. C'est confirmé par les 5 automobilistes qui nous passent devant, le gardien de sécurité qui nous trouvait sûrement une tête prête à faire à un mauvais coup (traverser le tunnel de 4 km de long à l'insu de tout le monde était bien une idée que j'avais dans la tête), et la voiture de police de Whittier qui vient du coup faire le guet à l'entrée du tunnel pour éviter toute bravade bien française. On ne badine pas avec les interdictions ici. Du coup, c'est le maire de la ville en personne qui va nous prendre dans son pickup. Ma première réflexion en montant dans sa voiture : "On voit bien que les fonctionnaires de police sont débordés ici !". A ma décharge, je ne connaissais pas encore sa fonction.

Nous remontons sur nos vélos à la sortie du tunnel, et nous nous séparons avec François quelques miles plus tard, lui prenant la route du nord et d'Anchorage, moi celle du sud et de Seward. J'alterne les coups de chaud dans les montées, et les coups de froid dans les descentes sous une pluie réfrigérante. L'éclaircie viendra le lendemain après-midi, quand une voiture s'arrêtera quelques mètres devant moi et me proposera un hébergement au sec à Seward. Au vu du taux d'humidité dans l'air et sous mon poncho, je ne verrai aucune raison décente de refuser.

Pour la statistique, 144 km parcourus pour 9 heures sur la selle en ces deux derniers jours de vélo. Sur une route, la Seward Highway, que l'on dit l'une des plus scéniques d'Alaska. Je pense que "on" (éditeur de guide de voyage à ses heures perdues) ne voyage que par beau temps.

Jéjé

Pris sur le vif

Déjà parcouru

     1186 km      17053 km
     168 km      232 km
     6342 m (6)


Où sommes nous ?


Date : 13/08/2014
Lieu : Saugnac et Cambran, France
Déplacement : Repos
Direction :

Sur la carte ...

Votre dernier message

, le 08/09/2023


Tous les messages