La route la plus longue Glenn Highway, Alaska, Etats-Unis

16/05/2013

Dimanche 12 mai : 5h de vélo, pour 83 km parcourus

A l'heure où d'autres posent leurs fesses sur les bancs de l'église, moi je pose les miennes sur la selle de mon vélo. Et je n'ai à vrai dire pas d'idée claire de la direction que je vais prendre. Je vais au nord, c'est sûr. Direction Fairbanks. Soit par la route la plus directe, la Parks Highway qui en 600 km m'amènera au pied du Mont McKinley puis à destination. Soit par l'est dans un premier temps, la Glenn Highway, puis par la mythique Denali Highway qui devrait être déneigée dans les jours qui viennent. 900 km, mais on me promet ici à Anchorage des paysages somptueux et des routes sauvages. Et moi, je suis riche de la seule monnaie qui compte vraiment, le temps. Alors mon guidon s'est orienté tout seul vers cette seconde option, sûrement guidé par l'intuition que l'aventure était plutôt sur ce chemin.

C'est drôle que le mot "temps" ait un double sens en français. Car celui qui me tombe dessus en ce moment est plutôt du style qui mouille. La ballade bucolique que me promettaient les amateurs de vélo d'Anchorage se transforme en douche glacée, et au lieu de profiter la tête en l'air des paysages, j'ai la tête enfoncée dans le poncho, essayant de naviguer entre les grosses gouttes. De toute façon la vue est tellement bouchée que je n'ai que le bout de ma roue à surveiller, pour éviter trous boueux et flaques profondes. Et mon unique pensée se matérialise sous la forme d'un campement au sec, pour faire sécher mes affaires dégoulinantes.

Lundi 13 mai : 6h30 de vélo, pour 98 km parcourus

J'ai finalement posé ma tente sous un abri de pique-nique. Je regarde le crachin rebondir sur le sol saturé par la récente fonte des neiges pendant que je dévore mes flocons d'avoine au "Marple Brown Sugar", recette sans sucre. Quelle idée. Une accalmie survient, je charge le tout en 3ème vitesse : l'important est de décoller, je me ficherai bien d'être mouillé quand je serai en train de rouler.

Je monte doucement au milieu des Chugach Mountains, et col après col je découvre la vallée glaciaire du Matanuska. Là-bas, au bout de la moraine et de la rivière, le glacier hérisse ses premières falaises blanches et bleutées. Je profite d'une aire sur le côté de la route pour admirer le paysage. Une allemande et son mari en Van VW m'abordent. "Pas trop froid ? Vous avez besoin de quelque chose ?". "De l'eau si vous avez, je suis à court" je lui réponds. Je me suis ravitaillé dans un ruisseau ravinant, et vu la terre qu'il charrie, je trouve à l'eau un goût terreux voire croustillant. Pendant qu'elle me remplit la gourde, elle me dresse un tableau sombre des jours à venir. "On était là où vous allez : ces derniers jours, c'étaient tempêtes de neige, vent, froid. Et cela ne va pas d'améliorer". Elle continue sa tirade, j'ai l'impression qu'elle cherche à me décourager. Avant de tomber dans le pessimisme ambiant, je la remercie et remonte sur mon vélo pour attaquer un nouveau col. Je pose finalement la tente dans la descente suivante, à l'abri d'une forêt. Une tempête de neige m'aveuglait littéralement sur le vélo.

Mardi 14 mai : 7h30 de vélo, pour 110 km parcourus

Le grésillement de la neige sur la tente s'est interrompu. Il faut que je passe le col de l'Eureka Pass, le plus haut de la Glenn Highway, avant une nouvelle dégradation. C'est fait 3h30 plus tard, dans un brouillard gris et blanc, qui ne m'a laissé qu'entre-apercevoir les paysages de toundra alpine qui m'entourent. Blanc, gris, noir, trois tonalités qui composent le relief du paysage.

L'accalmie se révèle être de courte durée. Deux voitures s'arrêtent coup sur coup alors que je suis lancé dans la descente du col, et me proposent de m'embarquer jusqu'à Glennallen, ma prochaine destination. Les mêmes mots : "Froid, vent, tempête". Je les remercie, et les invite à poursuivre leur route sans moi. Pourtant je n'y vois pas à 50 mètres avec cette neige qui m'aveugle, lancée contre moi par un vent mauvais.

Le logement du soir est luxueux : non loin de la route, je trouve une cabine abandonnée en bord de ruisseau. Ce dernier est en train de déborder sous l'effet fonte des neiges, charriant des mètres cubes d'eau et de glace. J'évalue le risque d'avoir les pieds mouillés ce soir, il me semble minime. Le sol de la cabine est lui moqueté, mais les murs pas encore finis et isolés. Des flocons de neige arrivent à passer entre les planches. Sympa de dormir sur une moquette épaisse en regardant les flocons danser au dessus de soi.

Mercredi 15 mai : 5h30 de vélo, pour 90 km pacourus

Après avoir fait fuir un troupeau de caribous, j'arrive dans le bourg de Glennallen en milieu de matinée. Je récupère les infos météo pour les jours suivants. Cela risque de s'améliorer en fin de semaine. Par contre, les nouvelles de la Denali Highway sont mauvaises. Des quantités importantes de neige sont tombées ces derniers jours, la glace est omniprésente. La DDE locale qui avait prévu d'ouvrir la route au 15 mai a repoussé l'ouverture de quelques jours, déblayant à tour de bras et de chasse-neige.

J'évalue les autres options si celle là ne s'avère pas viable. Rien ne me satisfait vraiment, au mieux des interminables routes de taïga sur des centaines de kilomètres sans aucun relief à se mettre sous la dent pour rejoindre Fairbanks. Et puis tombe ma boîte mail la réponse d'un propriétaire de lodge situé sur la Denali Highway : "Au vu des conditions, il est impossible pour un cycliste de venir en ce moment". Ma décision est prise : je me rue au supermarché, je charge le vélo avec du ravitaillement pour une grosse semaine, et je fonce sur la route qui me mène à l'entrée de la Denali Highway. Impossible is not french, isn't it ? En tout cas, essayer me coûtera au pire une grosse débauche d'énergie et quelques engelures.

Jeudi 16 mai : 4h00 de vélo, pour 59 km parcourus

J'arrive à Paxson sous un grand soleil, caché par d'immenses et ténébreux nuages, desquels tombent une neige drue, balayée par un vent tournant ... J'avais prévenu Audie (rencontré lors de mon dernier passage à Paxson) de mon arrivée. Il m'accueille et me met au chaud. J'ai une faim de loup. Je descends au roadhouse du bord de route, qui fait office d'hôtel-restaurant. Pas d'épicerie, mais le proprio me dégotte un pain de mie congelé en cuisine. Je remonte pour me préparer un sachet de haricots rouges et de riz prévu pour 6 personnes, dans lequel je noie l'intégralité de mon pain.

Et sur l'état de la Denali Highway, au début de laquelle je me trouve désormais ? Aucune bonne nouvelle ne remonte aux oreilles des habitants du village, la rumeur dit que les employés du département des transports d'Alaska ne pensent pas arriver à ouvrir la piste dans les jours qui viennent. Il faut attendre demain matin pour avoir des informations sûres. Alors dormons, demain apportera sa vérité, et la seule chose dont je suis à peu près sûr, c'est que ma compagne la plus fidèle de ces derniers jours, viendra une nouvelle fois recouvrir le paysage de son soyeux manteau blanc.

Jéjé

Pris sur le vif

Déjà parcouru

     1186 km      17053 km
     168 km      232 km
     6342 m (6)


Où sommes nous ?


Date : 13/08/2014
Lieu : Saugnac et Cambran, France
Déplacement : Repos
Direction :

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