Labour et maçonnerie Mont McKinley, Alaska, Etats-Unis

12/06/2013

Il fait 28°C, le soleil me brûle la peau et les moustiques le tournent autour en cherchant la meilleure zone d'atterrissage pour installer une station de forage. On est le lundi 33 juin, il est 10h, hormis la main gauche qui balaie l'air je suis quasi immobile, le pouce de la main droite levé, attendant le long de la Parks Highway le chauffeur qui m'amènera à Talkeetna, 400 kilomètres plus loin. Un prêtre catholique, amateur ancien de bières et jolies femmes, arrête sa jeep d'un coup de frein à main. J'embarque mon barda d'alpiniste comme je peux, et je m'installe religieusement pour écouter le sermon et les bénédictions du prophète repenti.

Talkeetna par ses habitants : un village d'alcooliques avec un sérieux problème lié à l'alpinisme. Je ne suis pas sûr dans quel sens il faut prendre l'affirmation, mais pour Alex (mon compagnon de cordée que je retrouve ici) et moi, c'est la dernière occasion de vider quelques bières avant d'attaquer l'ascension du mont McKinley. Et de poser la tête sur un authentique et confortable oreiller. Demain, si les conditions le permettent, on dormira sur une étendue de glace, séparé de la neige par 5 centimètres d'air.

Mercredi 5 juin : 3h15 de grimpe du camp de base (2200m) au camp 1 (2375m)

C'est une particularité bien locale : une fois qu'ils se sont assurés que leur sous-sol ne regorge pas de pétrole, les américains ont le sens de la préservation de leur espace naturel. Le ranger assis face à nous explique donc avec un grand sérieux qu'il nous faudra ramener tous les déchets de la montagne, et en premier lieu déféquer tous les jours dans un seau, préalablement protégé par un sac biodégradabe. Et le dit-sac ? Ben il y a assez de crevasses pour pouvoir s'en débarrasser. Cette idée me plaît d'entrée : chaque jour on va risquer notre peau près d'une crevasse pour se débarrasser d'un kilo de merde. Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour garder la montagne propre.

La compagnie aérienne qui doit nous amener sur le glacier de Kahiltna a d'autres contraintes : elle doit attendre que le plafond nuageux se dissipe pour pouvoir nous acheminer au pied du McKinley. Et pour certains grimpeurs, l'attente dure depuis 4 jours. Finalement, vers 18h, un appel du camp de base réveille les pilotes : une éclaircie se profile. Coup de sirène, tout le monde se rue dans les coucous, l'escadrille des têtes brûlées fonce sous les nuages et finit par se poser dans la plus grande anarchie sur la piste de neige.

On rejoint le camp 1 après une marche d'échauffement : je regoûte avec joie au tractage de luge, qui s'apparente plus à un labour de champ qu'à une glissade sur patinoire. Nuit un peu frisquète pour cette basse altitude. Calcul rapide : si la température se maintient, on devrait avoir un thermomètre qui oscillerait autour de -30 degrés au camp d'attaque du sommet, 3000 mètres au dessus. Réfrigérant.

Jeudi 6 juin : 6h30 de grimpe du camp 1 (2375m) au camp 2 (3350m)

12 kilos sur le dos, plus de 40 kilos dans la luge. A la fin du glacier, on attaque les pentes pour passer sur les plateaux supérieurs. Et quand les ressauts dépassent les 20%, le quadriceps couine sous la propulsion. On arrive au camp 2 au ralenti, Alex n'a pas la même tête qu'hier, j'en déduis qu'aujourd'hui c'est la mauvaise. On jette les luges dans un trou, on jette nos tentes sous un mur de neige sensé nous protéger du vent, et on se jette dans nos duvets.

Vendredi 7 juin : 4h15 de grimpe, aller retour du camp 2 (3350m) à Windy Corner (4100m)

Chaque jour en montagne apporte sa vérité : aujourd'hui c'est grand soleil, points de vue aériens, et les luges restées au repos au camp 2. Il faut peu pour rendre les gens heureux. On papillonne sur les murs et les traverses de la neige tassée, avant de planter notre drapeau et notre cache de nourriture/matériel au niveau de Windy Corner; qui comme son nom l'indique, est d'un calme terrible, pas une molécule d'air ne bouge hormis celles qu'on expire.

Samedi 8 juin : 6h de grimpe, aller retour du camp 2 (3350m) au camp 3 (4330m)

On doit avoir un problème de décalage horaire : quand les autres groupes sont en train de chausser les crampons pour attaquer les pentes au dessus du camp, on est toujours consciencieusement emmitouflé au fond de nos sacs de couchage. A chacun son rythme biologique. Après une nuit neigeuse, on émerge sous un radieux soleil de midi. Cette fois-ci, les luges nous accompagnent jusqu'au camp 3, car en plus de la charge que nous prenons, nous allons récupérer celle de la cache d'hier.

Et forcément la punition arrive : une longue traverse, au bas de laquelle se prélassent quelques crevasses. Elle martyrise nos attelages : les luges se mettent en travers, attirées par la pente, et tirant nos bassins dans le même sens. Les pointes des crampons bien enfoncées, on progresse sur des oeufs, pour éviter de déraper et envoyer notre binôme valdinguer.

Après avoir déposé notre matériel au camp 3, on descend le mollet ragaillardi. Sur le chemin, un vieil homme de 78 ans monte encordé à quelques amis à peine plus jeunes : il vient fêter là les 50 ans de sa première ascension, et même s'il ne pense pas aller au sommet cette fois-ci, se retrouver là, au dessus des nuages, les cheveux et la barbe d'un blanc incandescent sous le soleil du soir, suffit à son bonheur.

Dimanche 9 juin : 4h15 de grimpe du camp 2 (3350m) au camp 3 (4330m)

Les oiseaux de malheur nous avaient annoncé de la neige et de forts vents pour ce dimanche. Rien de tout cela jusqu'à la mi-journée, et grâce à notre bonne acclimatation cela nous permet de monter rapidement le reste de notre matériel pour ce troisième et dernier portage au camp 3.

Après le choix de notre emplacement, se pose un problème d'urbanisme évident : comment rentrer les 7,5 mètres carrés de nos tentes, dans un espace délimité par des blocs de glace qui en fait à peine 8, toilettes incluses ? On dessine rapidement quelques plans d'architecture au sol, et on se lance dans la maçonnerie : démonter les blocs de glace, terrasser 3 mètres carrés supplémentaires dans la neige, remonter les blocs en respectant les contraintes d'usage.

Un chantier terminé dans les temps (2 heures), pas de pénalité de retard, il le fallait car le vent finit par montrer le bout de son nez en début de soirée.

Lundi 10 juin : Repos

-18°C cette nuit, on rentre dans un environnement de haute montagne. Les vents et les projections de neige n'ont pas cessé de la nuit, mettant à l'épreuve la solidité des murs qui nous entourent et la résistance de nos abris de toile. Et aux dernières prévisions météo, le vent devrait se durcir demain, avant de faiblir en milieu de semaine.

Il était décidé d'avoir une journée off pour parfaire notre acclimatation (qui se révèle très bonne jusqu'à maintenant); avec Alex on choisit donc de poursuivre nos travaux de maçonnerie. Avec une scie à neige et une pelle, l'entreprise de construction a pris de l'envergure et les blocs de neige durcie sont débités à la minute. 3 nouvelles rangées entassées pour renforcer le côté nord, celui qui subit le plus en ce moment les vents venus de l'Arctique.

Après un déjeuner composé d'un mélange pâtes/pâtes chinoises, une énorme sieste et un dîner lyophilisé poulet créole, je vais passer la soirée chez nos voisins, qui se sont construits un abri enterré dans deux mètres de neige et surmontés d'une toile en forme de tipi. Assis sur un coin de glace, 4 "gueules" aimant l'aventure, les grands espaces et la montagne. Cela réchauffe la tête à défaut des fesses.

Mardi 11 juin : 6h30 de grimpe, aller retour du camp 3 (4330m) à une cache (5050m)

C'est le rituel du matin, le rendez-vous de la petite centaine de grimpeurs du camp 3 aux alentours de 9h30 : les prévisions météo affichées par les rangers près de leur tente de secours. Et aujourd'hui, tout le monde repart la tête basse, déçu de voir les espoirs entrevus hier ensevelis sous des mètres de neige et de vent cinglant. La seule bonne nouvelle pour les jours à venir est la température, qui devrait remonter de -20° à -13°.

Cela ne change rien à nos plans : nous allons remonter la grande pente qui nous fait face, pour faire un portage de nourriture et vêtements chauds à mi-chemin du camp 4. On démarre comme d'habitude loin derrière les autres cordées. Sur la partie la plus raide du Headwall, la pente de 55° nous invite à se tracter sur les cordes fixes avec des poignées d'ascension. Confiance moyenne dans les cordes car certaines sentent l'usure à plein nez, et d'autres près du col accrochent peu à cause du gel. On arrive au col sous un bon vent rafraîchissant, qui n'entretient pas la discussion. Une fois notre cache enterrée, nous redescendons la face sud, sous le soleil et à l'abri des courants d'air. On y croise deux jeunes français, qui partent pour une tentative de sommet demain, malgré des prévisions météo assez médiocres.

Mercredi 12 juin : Repos ... forcé

Le vent assez fort du matin s'est transformé dans une bise agréable, et le camp 3 s'est transformé en Denali-sur-plage. Le four solaire bénéficie de la cuvette faite par les pentes de neige réchauffe les corps et les relations entre les grimpeurs. Après une matinée passée à agrémenter notre camp d'une superbe cuisine gauloise, avec table, larges bancs et gamelles incrustées dans la glace, on va aux nouvelles du jour.

Les 2 français entrevus hier, après avoir été pris par les forts vents sur l'arête menant au camp 4, arête aérienne sur laquelle un faux pas amène directement 1000 mètres plus bas, ont finalement réintégré le camp 3, reportant leur tentative à plus tard. Nos voisins les russes, fidèles à leur réputation de durs-au-mal et durs-au-froid, sont eux montés, et bravent actuellement le mauvais temps dans leurs tentes au camp 4. Une américaine vient nous quémander de la nourriture, elle fait partie d'un groupe guidé qui est bloqué ici depuis plusieurs jours avec de maigres stocks de nourriture, le reste étant dans des caches acheminées préalablement plus haut.

Tout ce petit monde d'alpinistes s'endort, et quel que soit ses intentions, croise fort les phalanges qu'il lui reste, en espérant qu'Eole finisse par se lasser et ouvre une fenêtre de temps apaisé pour entrevoir le sommet.

Jéjé

Pris sur le vif

Déjà parcouru

     1186 km      17053 km
     168 km      232 km
     6342 m (6)


Où sommes nous ?


Date : 13/08/2014
Lieu : Saugnac et Cambran, France
Déplacement : Repos
Direction :

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