1 milliard de chinois ... et moi et moi et moi ! Gaoping, Shanxi, Chine

Chti message de Berga : Un grand merci pour tous vos messages d'anniversaire !!! Loin de me sentir seule parmi des milliers de chinois, ça fait toujours plaisir ;o) Bises à vous !
Vendredi 26 juillet : 4h30 de vélo, pour 65km parcourus
Les chauffeurs routiers chinois sont sympas : chaque camionneur qui nous double fait l'effort de nous laisser au moins trois mètres de sécurité entre son engin et notre petit attelage, un boulevard confortable quand on a vécu l'agressivité omni-présente des chauffeurs routiers africains. Il s'écarte, et quelque soit l'engin qui arrive en face, l'oblige à se déporter et à mordre dangereusement sur la bande d'arrêt d'urgence opposée. Un peu plus et on se sentirait obliger de se ranger à chaque arrivée de camion dans notre dos, pour ne pas provoquer un accident ... accident qui ne manquerait pas de saper les efforts de l'administration chinoise pour rendre les routes plus sûres (environ 100000 morts annoncés par an sur les routes, le triple d'après des sources officieuses).
Sur les hauteurs de Jiexiu, là où on a établi notre "campement" pour la nuit, dans une chambre d'hôtel de 30 mètres carrés d'un goût sobre et classieux, le château de Zhangbi a été construit il y a 14 siècles pour se protéger des envahisseurs. Les chinois de la dynastie Sui, qui maîtrisaient autant l'art du camouflage que celui de la guerre, avaient perclus le sous-sol du château de souterrains pour se cacher et piéger leurs ennemis dans des chausse-trappes. Une guide nous mène dans les tunnels à 25 mètres sous terre, et dans l'obscurité j'ai les os du crâne qui font régulièrement tomber de la terre du sommet de la voûte. Dire que les Sui arrivaient aussi à faire passer des chevaux ici. Au pays des lilliputiens, le nain est roi, et les poneys ont des allures de pur-sang.
Samedi 27 juillet : 5h30 de vélo, pour 85km parcourus
A tour de rôle, l'un de nous se dévoue pour aller faire le tour des pensions et autres hôtels de la bourgade où nous débarquons dans l'après-midi pour trouver un lit. Non pas qu'on rechigne à la tâche, mais chaque jour apporte son lot de surprises marrantes ou un peu moins. Aujourd'hui c'est Berga qui s'y colle.
Tout d'abord il faut s'assurer en poussant la porte que les caractères chinois que l'on a reconnu sur l'enseigne extérieure correspondent à un binguan, fandian, hotel ou tout autre lieu susceptible de nous accueillir pour la nuit. Ensuite que lorsqu'on nous voit entrer, tout le personnel ne s'enfuie pas dans les étages pour éviter d'avoir à se trouver face à nous. Puis qu'on n'essaie pas de nous refourguer la suite royale ou nuptiale, qu'importe du moment qu'elle soit assez bien et assez chère pour accueillir nos blanches saintetés. Après avoir fait comprendre qu'une chambre pour 2 personnes incluant une douche nous satisfera pour la nuit, que la dite chambre n'accueillera personne d'autre que nous, exit puces, poux et autres parasites. Puis vient de l'inspection : draps blancs, un clim, une bouilloire, des serviettes, on s'embourgeoiserait presque. Et enfin négocions le prix comme tout bon chinois, car suivant le prix officiel affiché, la taille, le taux de remplissage de l'hôtel et le luxe de son entrée, les réductions peuvent aller de +100% à -60%. Sur ce point je trouve Berga bien plus douée que moi :o)
Dimanche 28 juillet : 7h15 de vélo, pour 82km parcourus
Il était temps que l'on quitte la vallée car on commençait à expirer des particules de charbon par tous les orifices. Mais quitter la vallée, cela veut dire grimper la montagne : le premier col offre 1200 mètres de dénivelé sec, avec des passages à plus de 12%. Heureusement les pauses ne manquent pas : une barrière en travers de la route, où on nous demande le droit d'entrée (car nous traversons un parc naturel), mais j'explique que notre destination se situe plus loin, ce n'est pas de ma faute si le chemin le plus court pour rejoindre Qinyuan traverse le parc payant ... excuse acceptée, sans avoir besoin de sortir la carte "mélo". Puis plusieurs groupes de cyclo-randonneurs du dimanche chinois qui entament la descente et nous hèlent à chaque virage, certains font même demi-tour pour nous accompagner sur un bout de chemin de la montée. Mais nous on n'est pas là pour amuser la galerie, on ne va pas arrêter notre effort en si bon chemin, avec le poids que l'on a aux fesses, on risquerait de patiner au redémarrage. On finit par se poser sur le bord de la route, et une gentille dame nous offre quelques tasses de thé chaud pour nous réhydrater. Vu la chaleur, j'essaie de tendre le cou pour voir s'il ne reste pas une canette rouge de la boisson gazeuse mondialement célèbre, mais rien de tout ça. Juste une bière, ou alors une canette d'une boisson énergisante locale que l'on n'a pas encore testé. Le moment est mal choisi pour tester de nouveaux produits à l'insu de notre plein gré, on va se contenter de notre thé aux herbes pour affronter les derniers lacets du col.
Lundi 29 juillet : 5h45 de vélo, pour 77km parcourus
Un (nouveau) thé chaud dans la main, on regarde la pluie tomber dehors : on n'a pas vraiment envie de décoller aujourd'hui, enfin surtout moi. Mais Berga me pousse à la roue : après une étape comme celle d'hier, ce n'est pas un peu d'eau qui va nous arrêter qu'elle me dit. Et j'ai tout le temps de marmonner sur le vélo toutes les bonnes raisons que j'avais de rester au sec : je savais que mon poncho était perméable à souhait, j'aurai éviter de me faire arroser par les camions chinois, je n'aurai pas subi le comportement hystérique de la patronne du restaurant routier, qui lorsqu'elle a vu que nous nous arrêtions dans son établissement, a rameuté tout le quartier pour des séances photos, j'aurai évité de réparer ce qui est notre première crevaison sur la roue arrière de Berga, je n'aurai pas eu à marchander le prix d'une chambre avec deux ados pré-pubères qui ont essayé de se payer leur sortie du samedi soir sur notre dos, et puis je n'aurai pas passé une heure à batailler avec les clients d'un nouvel hôtel pour éviter d'aller faire un sauna tous ensemble. Manquait plus que je finisse cette journée de merde à poil au milieu de mecs imberbes et hilares en train de détailler ma couverture pubienne.
Mardi 30 juillet : 4h30 de vélo, pour 68km parcourus
On vient d'arriver à Gaoping, où on est poursuivi par une bande de smartphones sur pattes. Jusqu'à aujourd'hui, ils se contentaient de se faire le plus discrets possibles, évitant qu'on les voie jusqu'au dernier moment, déclenchant leur fonction photo alors même qu'on avait le dos tourné, et rentrant aussi vite dans leur poche-fourreau qu'ils en étaient sortis. Une photo d'un dos d'un couple de peaux-blanches sur le trottoir de la rue du quartier, ça n'avait pas de prix.
Mais aujourd'hui, les smartphones sont bien plus agressifs : ils sont partout autour de nous, tête chercheuse aux aguets, ils ne se cachent plus, ils nous poursuivent parfois jusqu'au fond des rayons des supermarchés pour nous capturer sur leur écran. Ce smartphone par exemple, tenu par une maman, qui de l'autre main entraîne son enfant de six ans dont les pieds touchent à peine terre, et court derrière moi entre le rayon confiseries et celui des biscuits, pour essayer de me coincer avant le grand espace des fruits et légumes, là où je pourrais définitivement m'échapper, histoire de figer ma ganache sur son écran. Au fast food de la noddle chinoise, ce sont une rangée de smartphones qui pendant qu'ils font la queue pour prendre commande, s'orientent irrésistiblement vers notre table pour immortaliser notre repas, notre tenue de baguettes voire le contenu de notre assiette. Berga se lève pour régler l'addition : il n'en faut pas plus pour déclencher une nouvelle série de clics reconnaissables, là on lui met un enfant entre les mains pour bénir le nouveau né, ici on lui demande de poser devant le logo du restaurant pour en accroître la popularité ... et toujours ces smartphones qui crépitent autour de nous.
Pour oublier ces écrans omniprésents, on a noyé notre envie d'ailleurs dans de la Tsingtao à 4°, et Berga finit par avoir une envie pressante. Comment rejoindre l'hôtel sans s'arrêter tous les 5 mètres devant un smartphone avide d'images inédites ? On longe les façades fermées des magasins, on évite les places éclairées, on répond aux "Hello" d'un signe de la main tout en baissant la tête. Plus que 20 mètres jusqu'à la porte d'entrée, c'est gagné, ils ont l'air d'avoir lâché notre trace, on va y arriver ... c'est sans compter un dernier écran tactile, qui tenu par deux adolescentes, veut immortaliser notre passage et la tête de ma belle déformée par son envie à satisfaire. Pour le coup cette photo là valait sûrement son pesant de cacahuètes.