La plate-attitude  Battambang, Cambodge

20/12/2013

Retour au fleuve Mékong, après plus de deux mois d'absence. C'est un peu comme si tu retrouvais un vieux pote de lycée que tu avais perdu de vue depuis 20 ans. T'es content et rassuré parce que t'as l'impression qu'il y a des choses qui ne bougent jamais, sa couleur marron, ses côtés pas très propres, sa tendance à charrier tout ce qui croise son chemin, et son inaltérable lenteur, qui te fait à la fois désespérer et rêver. T'es triste car tu sens que l'oeuvre du temps n'a pas d'alternative, et lors de tes prochaines retrouvailles, il sera un peu plus gâté, un peu plus sale, un peu plus encombré.

A défaut de pousser les retrouvailles à s'y baigner dedans, on va poursuivre notre route en suivant ses berges pendant quelques kilomètres. On sort de Phnom Penh, il est 8h du matin ce 17 décembre, on ne flemmarde pas sur les pédales, à la fois car il y a 111 km qui nous attendent pour trouver un endroit où dormir et manger ce soir, et parce qu'une sorte de tempête sombre et basse remonte du sud, droit sur nos traces.

C'était bien sympa ces deux jours de pause dans la capitale cambodgienne, à profiter de la vie débordante de ces rues, au moins jusqu'à 6 heures le soir, car après c'est couvre-feu pour les lézards et les tuk-tuk. A se cultiver aussi, car au delà de devenir des encyclopédies vivantes sur les différentes bières locales, on trouve le moyen de se trainer dans un musée, pour le coup Berga m'en est gré. Car ici, le musée le plus couru est une ancienne école, elle-même transformée dans une prison pendant les trois ans de pouvoir des Khmers rouges. Et à lire les témoignages, de ceux qui ont survécu à la torture, soit environ 200 personnes sur les 20000 qui sont passés par le lieu, des gardiens de prison, souvent embrigadés dès leur plus jeune âge par les autorités et pour lesquels aucune autre alternative n'était possible hormis la mort, et enfin les CV des officiels du régime qui ont commandé à ces actes ignobles, et ont toujours essayé d'échapper à la justice ensuite, on comprend toute l'horreur des faits et la difficulté de la société cambodgienne à s'en défaire, sinon d'essayer d'oublier pour les plus âgés, de faire payer à certains leaders de l'époque, et du devoir de mémoire pour la nouvelle génération.

La masse de nuages noirs nous a finalement rattrapé, malgré notre fuite éperdue. On ramasse notre premier déluge depuis de nombreuses semaines, le poncho n'y fait rien, on va être trempé pour la journée. On coupe par une pause dans un petit resto de bord de route. Toujours la même présentation, ces marmites posées en bord de table, qui contiennent différents ragoûts de légumes, viandes, poissons, soupes. On y plonge le nez, mais pas facile de juger au fumet lequel se révèlera être un bon parfum pour le riz (toujours servi en quantité lui), ni trop épicé ni trop insipide ... et si en plus on peut éviter d'avoir des noeuds à l'estomac une heure après sur le vélo ... Donc pied de porc et haricots verts épicés pour Jéjé, poisson aux pousses de bambou pour Berga.

Le lendemain, aucune surprise notable sur les 102 km de l'étape du jour. Plat comme un pet de seiche, aucune raison de s'exciter ou de se lever sur les pédales. On est dans le grenier à riz du Cambodge : des rizières à perte de vue, des buffles qui y cherchent quelques pousses tendres, des serpents bruns qui y bronzent, et des petits chapeaux qui s'y agitent. Parfois au milieu de nulle part, un terre plein a été aménagé, une gigantesque usine y a été construite. Usine de conditionnement du riz, ou fabrique de textile. Je finis l'étape avec les joues creuses, il va me falloir bien plus d'un poisson fraîchement pêché et de frites au dîner pour redonner du volume à tout ça. Berga me dit en dégustant un ananas en dessert que cela lui suffit ... ma blonde a tendance à croire qu'on devrait consommer le même volume de nourriture, et oublier que je pèse 25 kg de plus qu'elle, donc autant à nourrir. Et puis quand même merde je m'appelle Jéjé, invité redouté de toutes les tables de France et de Navarre. Je suis à deux doigts de rejeter le filet de pêche à l'eau, "par chance" un régime de bananes a la bonne idée de tomber juste sur notre chemin.

Il nous faut 114 km de plus pour rallier Battambang, à l'ouest du Cambodge, sur une portion encore et toujours mortellement plate, et avec un vent qui travaille toute la journée pour essayer de nous ralentir. On lutte contre le sommeil sur le vélo, on fait sûrement un ou deux malheureux sur le chemin en oubliant de les saluer, et on finit par jeter nos tee shirt poussiéreux et nos vélos grinçants sur le perron d'une guesthouse. Berga ne saute même pas de joie, trop mal aux fesses sûrement, pourtant on finit là notre dernier grand raid asiatique à deux roues. La suite se fera à bateau vers Angkor la magnifique, notre cerise sur la bûche pour un Noël à 25 degrés.

Jéjé

Pris sur le vif

Déjà parcouru

     1186 km      17053 km
     168 km      232 km
     6342 m (6)


Où sommes nous ?


Date : 13/08/2014
Lieu : Saugnac et Cambran, France
Déplacement : Repos
Direction :

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