La chute de l'histoire Puerto Fuy, Chili

30/01/2014

Villa Pehuenia -> Cunco -> Villarrica (2 jours, 161km pour 11h50)

Soleil radieux, le Pacifique nous appelle. C'est le moment de basculer côté Chili, on avale les 15 km argentins et les deux pommes qui nous restent. Car la douane se montre instransigeante sur les aliments frais : rien ne peut passer la frontière. On remplit nos petits papiers, on se fait tamponner nos passeports, on est tellement pressé qu'on oublie de changer quelques pesos, pas grave, on jouera de la carte bleue au premier distibuteur. On s'immerge donc sur le territoire chilien. Après le quasi-désert argentin, nous voilà en zone "humide" : des forêts de pins et des petits lacs, des habitations en bord de route, du bétail et des jardins fleuris. Autre changement : la qualité de la route, c'est notre premier "ripio" (route non bitumée, qui va de la terre battue roulante aux gros gravillons rebelles et très très méchants). En grimpant un nouveau col sur cette route de caillasses, je me prends presque à regretter le bitume et le vent de face. Il va falloir être agile les prochains jours pour éviter la chute !!! On file sur Melipeuco pour se ravitailler avant d'accéder au pied du volcan Llama, au bord du lac Conguillo. Mais pour ça il faut de l'argent et l'unique distributeur n'accepte pas nos cartes bancaires, nous voilà donc partis sur Cunco, 34 km de plus, où le même problème se pose, les gens nous conseillent la pharmacienne du village, qui nous dépanne momentanément en nous changeant 100 euros.
Après échanges avec nos voisins de camping, deux cyclos allemands, on décide filer vers le sud direction Villarica pour trouver une banque qui nous ravitaillera en monnaie locale. 17 nouveaux km de ripio annoncé comme "affreux et très vallonné", ils me font poser les pieds à terre pour la première fois et pousser le vélo tant bien que mal car mes petits petons dérapent aussi. Mise à part cet enchainement de montées-descentes à fort pourcentage, le décor est agréable, mélange de forêts, de ruisseaux et de champs de blé, de luzerne ou de foin, au dessus de nous on a en visu les deux volcans : le Llama qu'on laisse à l'Est, et le Villarrica qu'on voit au Sud.
On finit notre trajet sur la route principale qui mène au lac de Villarica, une petite station balnéaire pleine d'activités nautiques et où les locaux brandissent des pancartes "CABANAS" à louer à tous les coins de rue, "c'est pas crise du logement ici !" constate le Jéjé. Ce sera pas la crise bancaire non plus, on trouve enfin un distributeur qui nous crache des jolis billets de toutes les couleurs, le monopoly a dû être inventé au Chili.

Villarica -> Parc National du Huerquehue (59km pour 4h55)

Un peu frustré d'avoir sauté notre rando autour du volcan Llama, Jéjé nous a dégoté un joli parc national gorgé de lacs et de forêts d'araucanias. On enfourche nos vélos pour rejoindre le parc national, 23 km tranquilles en bord de lac avec vent de dos (15,4 km/h) direction Pucon pour pêcher quelques informations sur l'accès au parc et les campings environnants. Le gars de l'office de tourisme nous fait un plan détaillé des routes du coin, on lui a demandé le détail de celles qui sont bitumées et de celles qui ne le sont pas. Un saut au supermarché du village pour se ravitailler, qui sur 5 rayons en a un entier consacré à la charcuterie, un au pain, un autre à la mayonnaise, un quatrième au vin. Heureusement dans le 5ème on arrive à trouver quelques pâtes et légumes. On réenfourche les vélos pour 20 nouveaux km aussi tranquilles que les premiers, puis on attaque une montée progressive en terre battue de 9 km, puis une montée très abrupte de caillasses courantes de 7 km avec des virages en gravier inroulables. Alors que je vois pour la première fois Jéjé pousser son vélo quelques dizaines de mètres devant moi, je pourrais presque me réjouir de ne pas être la seule à en baver, mais je peste tellement contre le chemin, la poussière que nous envoient les 4*4 en plein visage, les graviers qui n'en finissent pas d'être mouvants ... je suis certaine d'être les premiers et derniers cyclistes à emprunter cette route. Je me rassure en me disant qu'en faisant les courses j'ai bien fait de glisser en douce dans mon sac deux canettes de bières.
Aujourd'hui, rando, pas de vélo. Jéjé aime bien me faire des surprises de dernière minute. Il me dit comme ça : "Ici il y a une spécialité, c'est les tabaños. Des grosses mouches noires avec le cul rouge. Le bon point, c'est qu'elles ne piquent pas. Le mauvais point, c'est qu'elles pincent. Et elles font mal. Et puis elles sont bien résistantes à la claque, faut pas hésiter à les écraser fort et à leur faire exploser leur cul rouge pour les empêcher de revenir à la charge". Bon on n'en verra que des exemplaires réduits de tabaños, tant mieux, cela nous permet de profiter des jolis paysages de lacs à l'eau claire au milieu de grandes forêts.
En rentrant, on récupère dans une caseta deux empenadas taille XL et deux cervezas trop petites ; on se fait accoster par le couple de quadras de la tente d'à côté, qui nous propose de partager leur feu de bois et quelques verres. On fait attention à ne pas trop charger le piscola (mélange de pisco, brandy local à 35° et de coca), car à voir l'état bien avancé de nos voisins, l'effet a l'air redoutable. A leur décharge, il faut dire que l'herbe qu'ils fument n'a pas non plus l'air d'être innocente !

Parc National du Huerquehue -> Villarica -> Liquiñe (2 jours, 136 km pour 9h59)

Rencontre d'un autre type sur la rue centrale et unique du village de Coñaripe. Un cyclo chilien se pose près de nos vélos avec un tandem, auquel est attaché une remorque pour bébé. Au dessus de la remorque, une planche à voile démontée. On se fait confirmer que la seule raison du tandem est que sa longueur permet de loger la planche et le mât de l'équipement. Pas question donc d'avoir un passager, même occasionnel. Armando n'en veut de toute façon pas. Ne serait-ce ses cheveux et sa barbe blanche, on lui donnerait une petite cinquantaine d'années. Il a en fait dix ans de plus, beaucoup d'années à voyager, mais pas assez il nous confie. J'aime bien ce genre de gars, qui se pose à côté de toi et qui sans préambule commence à te raconter les aventures de sa vie. Dont la moitié en français s'il te plaît, car il connaît bien notre pays. Et notamment la fameuse histoire où il s'est épris d'une anglaise alors qu'il parcourait les alpes à vélo, anglaise déjà engagée auprès d'un fiancé assez jaloux ; histoire qui s'est terminée en jeu de mains, jeu de vilains, pas so british. En le voyant brasser l'air avec ses bras en mimant une scène d'empoignade digne d'un vieux film comique muet, je comprends que la voile de son engin ne doit pas avoir besoin de beaucoup d'air pour le faire avancer.
Un peu plus loin, un jeune couple de cyclos, allemands encore. Ils nous parlent ripio, poussière, montées, vent, meilleure route à suivre. On est poli, on les écoute, mais en fait cela ne nous intéresse pas tellement les histoires que l'on vit tous les jours. Quand la fille me demande où on va, je réponds comme à la douanière qui m'a posé la question il y a quelques jours : "Au Sud". En fait on n'en sait trop rien où on va. Je fais juste attention que le matin le soleil se lève à gauche de la route, je dis à Berga que ça me rassure, à suivre cette direction on verra bien un jour les manchots et la terre antarctique.
Le soir, c'est camping écolo, c'est marqué sur la pancarte du petit vieux qui nous accueille. Promis, quand je rentre, j'ouvre un camping écolo. Un tuyau de douche branché sur l'eau congelée du ruisseau, les cris des clients quand ils passent à la case lavage, des toilettes sèches, les cris des clients quand ils doivent prendre un peu de compost pour recouvrir leurs excréments ... et trouvent dans le compost des trucs bien vivants, des ampoules suspendues aux arbres en guise de décoration, les cris des clients quand ils se prennent une branche dans le pif en allant soulager une envie pressante dans l'obscurité, un emplacement de tente au plus près de la nature, les cris des clients quand ils s'aperçoivent qu'une fourmillère est passée en mode défense et envahit les sacs de couchage pour protéger son territoire. Vive l'écologie, de toute façon c'est inéluctable, la petite bête finira toujours par bouffer la grosse.

Liquiñe -> Chuco (64 km pour 6h05)

Ce camping écolo nous a ouvert l'esprit ou plutôt nous a remis les pieds sur terre. Plutôt que d'affronter le ripio et les 900 mètres de dénivelé positif sur l'ascension du col de Liquiñe, on décide de changer de braquet, direction 30 km plus au sud, sur le col de Huam Hum, seulement 600 mètres de hauteur. Sous la bruine, on enchaine quelques aléas mécaniques : d'abord mon porte bidon se casse, forcément les vélos femmes ne sont jamais équipés de porte bidon, du coup il faut bidouiller un système d'attache qui n'a pas résisté longtemps aux secousses du ripio. Idem pour la jante de Jéjé qui prend un gros choc sur un nid de poule et dans la foulée sa roue arrière se voile.
Pourtant, on ne desserre pas les dents et on arrive juste à temps pour prendre les dernières places sur le bateau de Puerto Fuy de 13h et traverser le lac jusqu'à la frontière argentine. On y rencontre Rodolfo, cyclo et voyageur argentin, avec qui on partage d'abord une longue averse sur le pont du ferry puis, une fois à quai, un déjeuner sandwich completo-coca. Naturellement et sans pousser les choses, le feeling passe bien, la fameuse buena onda, on se donne rendez-vous une quinzaine de bornes après la frontière argentine pour passer la soirée ensemble.
Vers 16h, la pluie a enfin cessé, le ripio n'est finalement pas si mauvais et on avance à une bonne allure. Je peux enfin relâcher mon attention, lever le nez du guidon, profiter du paysage et des sangliers domestiques, je laisse flotter mon regard entre forêts et montagnes, j'en profite pour dire à Jéjé qui me devance d'une dizaine de mètres que ses sacoches arrière penchent un peu, et je repars dans mes rêveries ... Sauf que pour Jéjé, quand tu lui parles de ses sacoches, le temps s'arrête, et en deux temps et trois mouvements il est déjà pied à terre, en train de refixer ses trésors ... Quand mon regard se repose sur lui, il n'est plus qu'à trois mètres de moi, je me lance dans un freinage d'urgence pour éviter la collision, mon volant se tourne légèrement sur la droite, mon pneu se bloque dans les graviers et je vois au ralenti le sol se rapprocher inévitablement. Il me faut trois bonnes minutes et un coca offert par le conducteur d'un 4x4 qui s'est arrêté pour reprendre mes esprits et faire un premier bilan de mes blessures. Je vois le regard de Jéjé inquiet et je le rassure en constatant que je n'ai rien de cassé : blessures aux mains, coude droit et pied droit, choc plus important aux genoux, celui de gauche est resté coincé sous le vélo, celui de droite avec une profonde entaille ! Je remonte finalement sur le vélo pour achever les 4km qu'il nous reste, le choc de la chute m'a secoué, je lâche quelques sanglots pour évacuer la peur en essayant d'imaginer comment vont se dérouler les prochains jours, tant mes genoux semblent à bout de course. Notre amigo Rodolfo nous attend en bord de route, il a négocié avec le ranger de camper dans le parc naturel et s'active dans tous les sens pour préparer un feu pendant que Jéjé soigne mes blessures. La soirée sera chaleureuse, ponctuée d'échanges autour des expériences de chacun : mécanique vélo, trekking, légendes Mapuche ... On est sous le charme de cet argentin qui a le coeur sur la main, qui partage et offre sans rien attendre en échange, et rien que pour la sincérité de cette rencontre, je ne regrette en rien cette journée ... on verra bien comment j'arrive à m'extirper de la tente demain matin.

Berga & Jéjé

Pris sur le vif

Déjà parcouru

     1186 km      17053 km
     168 km      232 km
     6342 m (6)


Où sommes nous ?


Date : 13/08/2014
Lieu : Saugnac et Cambran, France
Déplacement : Repos
Direction :

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