2 de febrero - El diario de bicicleta San Carlos de Bariloche, Argentine

05/02/2014

Km 0
Entre deux bouchées d'un mélange de lait-cornflakes-céréales-confiture, on regarde le ciel. Berga baisse le regard vers son genou, encore tout sanguignolant de sa dernière chute. Partira, partira pas ? J'attends la décision de ma blonde, toute en hésitation. Elle demande : "Tu penses qu'il va pleuvoir aujourd'hui ?". Probabilité de pluie : 80% dit la grenouille argentine. Rien à rajouter.

Km 2
Premières gouttes. Berga charge : "On pourrait varier notre moyen de transport tu crois pas ? Les jours de mauvais temps, on essaierait autre chose.". Dans son regard, je sens qu'elle va me parler de transport motorisé, de bus, voire de voiture de location. Je lui réponds "Ouais, j'y avais pensé. Qu'est-ce que tu dis du tandem ? Ou du kite surf à roulette ? Du monocycle ? Des rollers ?". Mon "humour" la laisse de glace. Elle se concentre de nouveau sur la pente qui monte et l'imperméabilité supposée de son poncho.

Km 4
Deux mecs en bord de route. L'un tend le pouce au passage des voitures. L'autre me hèle "Cette direction-là c'est bien San Martin des Andes ?". Il y a une seule route dans cette région du Rio Negro. Avec deux possibilités. On part ou on va à San Martin. La seule question à se poser est donc : "D'où sortent ces deux gars-là ?".

Km 11
Pluie drue. La grenouille argentine danse sur un nénuphar avec ses 20% de probabilité restante. Je sens le regard de Berga sur ma nuque. J'anticipe l'attaque : "Tu sais, le bus, ça s'arrête jamais quand tu veux, et ça arrive toujours à l'heure. En gros c'est chiant. Et la voiture de loc, c'est le stress assuré : et entre les routes de ripio, les chiens errants, les cochons sauvages, et le fait d'éviter d'écraser le dernier puma des Andes, histoire de ne pas se prendre une rafale de plombs dans le réservoir par des guadaparques pas contents, trop de chances de l'abîmer". Heureusement, la route continue à monter, cela coupe toute tentative de répartie.

Km 16
En haut du col, deux cyclotouristes en vue. Un couple de retraités néo-zélandais. Ils étaient en route pour le sud, mais trop de froid, trop de vent pour leurs vieux corps. Du coup ils remontent au nord dans l'espoir d'accrocher des restes chauds de l'été. Quand je leur demande quel genre de ripio on trouve au prochain col de frontière, ils me répondent que d'après leurs vieux souvenirs, datant de 23 ans, il n'est pas si mal. Je regarde Berga en lui disant des yeux "C'est beau, ça ! Après 23 ans, toujours à supporter les aléas de vélo ensemble". Papi nous conseille de nous arrêter au prochain restau de bord de route, "ils ont de la viande grillée du tonnerre !". Je lui demande s'il a arrosé ça avec un bon Malbecq, il dément vigoureusement de la tête, comme pris la main sur le goulot. Berga me dira au Km 17 que j'avais manqué de tact, que j'aurai pu m'abstenir d'insinuer qu'il avait abusé de la bouteille ... vu la couperosée de son visage.

Km 23
Le restau est en vue. Un bon routier de bord de route, tout de bois construit. Clientèle d'ouvriers et de touristes de passage. A la carte, des patates sous toutes leurs formes : crues, ébouillantées, frites, découpées, écrasées. Et surtout d'énormes quartiers de viande qui trônent en chaque milieu d'assiette. Je commande un asado al horno et des frites, Berga une salade et des frites. Je regarde ma blonde avec un air d'empathie. Dur dur la vie de végétarien. Quand mon quartier de barbac arrive, je souris comme un gamin, je crie un "merde" intérieur à mon cholestérol, et j'arrose le tout d'une bonne couche de mayonnaise. Le jour où ma dernière artère se bouchera, et que mon coeur s'arrêtera, je soupirerai une dernière fois "Que rico el asado à l'horno !" en ce souvenir de ce moment-là. Sans regret.

Km 25
Redémarrage poussif. Les gouttes d'eau étaient en suspension dans le ciel, attendant notre retour sous les nuages. Elles viennent nous accueillir en se laissant tomber. Je maugrée, Berga semble indifférente. Au fond je pense qu'elle supporte la pluie bien mieux que moi. On croise deux jeunes argentins désargentés en bord de route, ils font du stop. Berga me regarde. Ah oui, le stop. C'est sympa le stop en effet. Plein de belles rencontres, avec des gens au coeur ouvert. Il faut juste avoir du temps, et pas de destination précise. Et puis un bon poncho quand on voyage à l'arrière d'un pick-up.

Km 28
Un nouveau 4*4 nous double avec le pouce levé. Merci pour l'encouragement. Et merci pour l'achat. C'est un Renault Duster. Même si on ne gagne pas la coupe du monde de foot, on aura la consolation de voir un bon tiers des argentins rouler en voiture française, Renault, Peugeot ou Citroën.

Km 37
Dans mon poncho trempé je repense à mon rêve de cette nuit. L'avantage du vélo, c'est qu'on a des heures pour rêvasser et pour remettre sur le tapis des sujets aussi incongrus que ses rêves de la nuit dernière. Avec s'il vous plaît dans les rôles principaux un casting de feu : Mao-Tsé-Tung, feu mon grand père, Dominique de Villepin, une directrice commerciale de mon ancien boulot, Philippe Candeloro, et un pote de primaire devenu dessinateur. Il faudra que je pense à une psychanalyse le jour où je rentrerai.

Km 40
Un couple chilien à VTT parti pour une ballade autour d'un lac déboule d'un chemin de terre. Le gars pousse le vélo, il a la chaîne cassé. On s'arrête, je regarde son problème. Il a besoin d'un maillon d'attache rapide, j'en ai un au fond de mon sac. Mais bordel sa chaîne est noire d'huile, il fait mauvais et il nous tarde de trouver une éventuelle douche chaude. Je lui réponds que je ne peux pas l'aider, il me dit "c'est pas grave, il y a un magasin de vélos dans 2 km, ils auront ce qu'il faut pour moi". On se quitte sur un "Suerte" plein d'encouragement. Quel vieux salaud je fais ! Il y a des chances qu'en arrivant devant la porte du paradis, juste après avoir murmuré "Que rico el asado à l'horno !", Dieu m'attrapera par le colback et me dira : "Tu te rappelles du 2 février 2014 en milieu d'après-midi ? La fois où t'as refusé d'aider un de tes semblables alors que tu avais tout pour le faire ? Allez ouste, l'enfer c'est au fond à droite".

Km 44
Panneau indiquant un camping en bord du lac Falkner. Sous la grisaille humide, on n'hésite pas à s'arrêter. L'employée nous détaille les lieux. "A gauche, ce sont plutôt les jeunes qui campent. Il faut savoir que c'est plutôt bruyant car ils font la fête tard le soir. A droite, c'est plus familial donc plus calme. Je vous conseille plutôt cet endroit-là". C'est posé, on est définitivement passé dans le rayon des vieux cons grincheux.

Km 44 bis
La tente est installée face au lac, partie droite. Vue imprenable malgré la pluie drue. Berga revient de la douche, dégoûtée : "Y a pas d'eau chaude, elle est à peine tiède !". Probabilité que l'employé du camping nous ait baratiné il y a une demi-heure en nous vendant "el agua caliente caliente" : 100%. Heureusement, la pièce qui fait office de cantine est chauffée avec un poêle à bois. On fait sécher les affaires en se réchauffant les os et en discutant le bout de bois avec les routards argentins. Dehors, la grenouille n'en peut plus de croasser. Apparemment la probabilité de pluie pour demain est de 100%. Pour une nouvelle page humide du diario de bicicleta, notre carnet de voyage à vélo.

Jéjé

Pris sur le vif

Déjà parcouru

     1186 km      17053 km
     168 km      232 km
     6342 m (6)


Où sommes nous ?


Date : 13/08/2014
Lieu : Saugnac et Cambran, France
Déplacement : Repos
Direction :

Sur la carte ...

Votre dernier message

, le 08/09/2023


Tous les messages