Cristina et Michelle Coihaique, Chili

Voilà un billet plus informatif que narratif, car il est toujours intéressant de comprendre la situation d'un pays et de ses habitants, cela répond souvent à nos questions de tous les jours.
Parler politique économique avec un argentin, c'est croiser un regard terne, prêt à basculer dans le néant. Parler politique économique avec un chilien, c'est rencontrer des yeux où sourdre la difficulté de s'en sortir, mais aussi brille l'espoir d'une vie meilleure.
Deux pays, deux destins, souvent liés quand ils ont connu la dictature militaire, et la répression qui s'en est suivie, avec des milliers de desaparecidos, ces "disparus" enlevés, torturés et exécutés par la junte au pouvoir. Aujourd'hui, au delà du devoir de mémoire, qui a été bien plus poussé en Argentine que sur le reste du continent, les deux pays essaient tant bien que mal soit de retrouver le statut économique d'antan (dans les années 1950 le PIB de l'Argentine était supérieur à celui de la France), soit de faire partie du peloton mondial des pays industrialisés (le Chili a le plus gros PIB par habitant d'Amérique du Sud).
Les deux pays sont présidés par une femme. La comparaison s'arrêtera là. L'Argentine Cristina Kirchner, brune botoxée sortie d'une couverture vieillie de Playboy, est la femme de Nestor. Le même qui après les années de libéralisme de la présidence Menem, a sorti le pays de la grave crise économique des années 2001-2002, à la faveur d'une forte dévaluation du peso et d'une croissance économique rapide et stable. Il a réussi a diviser le taux de pauvreté par trois. Je me rappelle lors de mon premier passage en Argentine en 2004, des discussions avec les locaux où certains m'avaient dit avoir connu la faim pendant la crise. Un souvenir douloureux qui est encore dans les têtes. Cristina a donc succédé à son époux en 2007. Faisant face à une révolte des grands propriétaires terriens, elle a pris des mesures impopulaires et s'est éloigné de ses partenaires sociaux. D'un autre côté, elle a renforcé le rôle de l'état en investissant massivement dans l'économie, nationalisant des compagnies privées et menant une politique de redistribution par les aides sociales. Mais aujourd'hui, malgré le boom de l'exportation des produits agricoles, le mécontentement est au plus haut : les mesures protectionnistes limitent les exportations et importations, la planche à billet tourne plein gaz et alimente une inflation annuelle de plus de 25%, le strict contrôle des changes ne permet presque plus aux Argentins d'obtenir des devises étrangères, ce qui alimente un marché noir du dollar et de l'euro, l'insécurité se redéveloppe, les affaires de clientélisme et de corruption minent la confiance des citoyens envers leur pouvoir. Cela pousse les argentins à prédire l'imminence d'une nouvelle crise économique. Cristina est l'objet de toutes les crispations, et bien rares sont ceux qui s'aventurent à défendre les avancées sociétales ou la politique plus humaine qu'elle a imposé avec son mari. Maintenant, elle a un atout dans sa poche : la forte demande des pays asiatique en matières premières agricoles, Chine en tête, ce qui pourrait, avec l'internationalisation du yuan, lui amener un allié de poids. Futur en suspens ...
La Chilienne Michelle Bachelet, elle, est l'Angela Merkel socialiste du continent latino-américain. Peut être plus sexy, sûrement aussi efficace. Son père faisait partie du gouvernement de Salvador Allende, torturé et tué pendant la dictature de Pinochet. Elle aussi a été enfermée et torturée pendant 2 ans à partir de 1973. Mi-décembre, elle a remporté l'élection présidentielle pour une seconde fois, après avoir déjà été élue en 2005, mais n'ayant pas pu se représenter en 2009, le Chili n'autorisant pas deux mandats consécutifs. Elle récupère un pays en bonne santé économique, avec une croissance à plus de 5%, un taux de chômage bas et une inflation maîtrisée. La contrepartie est les mouvements sociaux qui minent la confiance envers les dirigeants, car les fruits de la croissance ne sont que trop rarement partagés. Le programme de Michelle est ambitieux : gratuité de l’enseignement supérieur (qui aujourd'hui par son coût reproduit les inégalités), prestations sociales renforcées (il n'y a pour l'instant pas d'âge de départ à la retraite), financées en partie par une réforme fiscale d’ampleur avec un nouvel impôt sur les entreprises, amélioration du système de santé et des services publics. Elue confortablement à plus de 62%, elle suscite un espoir non feint dans sa classe moyenne qui chaque jour grandit, pour une amélioration du niveau de vie de tous. Voilà pourquoi les Chiliens sont aujourd'hui attentifs à chaque pas de leur nouvelle présidente.
Deux pays, deux destins, le plus intéressant étant sûrement de faire parler chaque nationalité sur son voisin. Pour un argentin, le Chili est d'abord un frère traître, celui qui ne les a pas supportés pendant la guerre des Malouines. Il éprouve aussi de la jalousie, de voir une société bien ordonnée et qui fonctionne mieux. Pour un chilien, l'Argentine est un pays de talents mais aussi de gâchis : tant de personnalités brillantes (Maradonna, le Pape, Messi ... :o)), tant de richesses, mais à qui cela profite-t-il vraiment ?