Butch, Antoine et Lionel La Leona, Argentine

11/03/2014

18h. 110ème kilomètre de la journée. Cela fait 25 km que le vent nous cisaille de travers. Sur le côté gauche de la route, juste après le rio Leona, une estancia anodine, portant le même nom. La seule en activité à 50 km à la ronde. Sur son côté ouest, une haie d'arbres, en guise de coupe vent. Ce qui transforme l'estancia en une oasis de calme dans la fureur du vent patagon. On lâche nos bicyclettes sur la dernière pente de terre, et on s'abrite derrière les feuillus.

On pose nos vélos, on se relaxe, dos et genoux fourbus, après cette lutte usante contre les éléments. Pas de raison de repartir d'ici ce soir, il y a tout ce qu'il nous faut. Un abri, de l'eau, une terre pas trop poussiéreuse. On ne sait pas encore que l'on vient de mettre les pieds dans un des lieux les plus sauvages et mais aussi l'un des plus fameux de la Patagonie.

Il y a près de 110 ans, deux hommes faisaient en ce même endroit leurs préparatifs pour aller attaquer la banque la mieux garnie des terres australes. Quelques jours plus tard, ils pillaient la banque de Tarapacá y Argentino de Rio Gallegos à 300 kilomètres d'ici, et y dérobaient l'équivalent de 100 000 dollars. Ils s'enfuirent vers le nord et les steppes de Patagonie. L'un d'eux était tout sauf un amateur, une légende du circuit pour tout dire. Après avoir fait ses armes dans l'ouest américain à la fin du XIXème siècle, avec comme spécialité le pillage de trains et de banques, il était devenu le leader d'une bande de bandits à la popularité grandissante, le "Wild Bunch", la Horde Sauvage. Pourchassé, abattant sur son chemin nombre de shérifs et de marshalls, il avait fini par se réfugier en Amérique du Sud, d'abord à Cholila, village que l'on a traversé il y a tout juste un mois, puis avait traîné ses guêtres et son colt dans la pampa argentine jusqu'à ici. Butch Cassidy échappa à la mort et à ses poursuivants jusqu'en 1908, et finit par succomber dans une énième confrontation avec les autorités en Bolivie, du moins l'histoire l'écrit-elle.

Il y a 85 ans de cela, un homme seul survolait régulièrement l'estancia de la Leona. Un de ces pilotes pionniers de l'Aéropostale qui était venu en Patagonie goûter au parfum de l'aventure. Pourtant, pas grand chose le promettait à cette destinée hors du commun. Elève peu brillant, échouant régulièrement aux concours d'entrée à l'Aéronavale dont il s'était fait un objectif, il finit par obtenir de justesse son diplôme de pilote en 1921, avec le surnom de "Pique la Lune". C'était un aviateur distrait, oubliant tantôt de rentrer son train d'atterrissage, tantôt de brancher ses instruments de bord, parfois se perdant dans l'immensité du ciel. C'était aussi un poète en devenir, qui trouvera sa principale veine d'inspiration dans ses missions de vol au bout du monde. Après l'Afrique, sa navigation à vue, sans instrument de bord, sans radio, ses atterrissages d'urgence au milieu des tribus rebelles du Sahara, vint le convoyage du courrier en Amérique du Sud, avec des avions dont la portée commençait à permettre ce genre d'exploits. Rallier Ushuaïa ou traverser les Andes était l'ordinaire de ces aventuriers. Un exploit, risqué à chaque vol, que Mermoz, Guillaumet, et Antoine de Saint-Exupéry alias "Pique la Lune" répétèrent plusieurs fois. Il en raconta les plus belles histoires dans des romans et des poèmes qui ont fait ma jeunesse et celle de tant d'autres.

Plus récemment encore, il y a quelque 62 ans, un homme a séjourné dans cette estancia de La Leona avec son compagnon de cordée italien, qui fut son partenaire pour la première ascension du Fitz Roy, un mur de granit de 3405 mètres de haut qui constitue aujourd'hui l'une des montagnes les plus difficiles au monde à escalader. Cet homme était déjà connu du grand public, pour avoir constitué avec Louis Lachenal la meilleure cordée de l'après-guerre, réalisant des exploits sur des faces nord célèbres, celle des Jorasses ou de l'Eiger par exemple. Et surtout en participant et en étant l'un des piliers de la première conquête d'un sommet de plus de 8000 mètres, l'Annapurna, expédition dirigée à l'époque par Maurice Herzog. Il était lui aussi écrivain, auteur du fameux "Les conquérants de l'inutile". En 1952, il fit ses plans ici, établit son camp de base à El Chalten, notre village de départ de ce matin, et lança l'assaut final avec Guido Magnone le 1er février, atteignant le sommet en fin d'après-midi. Lionel Terray était en train d'écrire sa légende, faisant la une de la presse de l'époque, et du haut du sommet mythique de la Patagonie, il pouvait alors admirer les flèches de granit qui l'entouraient, les aiguilles Guillaumet, Mermoz et Saint-Exupéry. Aucune dédicacée au bandit Butch Cassidy.

Jéjé

Pris sur le vif

Déjà parcouru

     1186 km      17053 km
     168 km      232 km
     6342 m (6)


Où sommes nous ?


Date : 13/08/2014
Lieu : Saugnac et Cambran, France
Déplacement : Repos
Direction :

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